Tintamarre sous l’océan

Ottawa a dévoilé le 23 août sa stratégie sur le bruit sous-marin, qui ne va pas assez loin pour protéger la biodiversité de nos océans, estime le Fonds mondial pour la nature. Car sous l’eau, il n’y a pas que le chant des baleines, mais aussi de plus en plus de bruits provoqués par les activités humaines. Un tintamarre qui peut avoir de sérieuses conséquences pour la faune sous-marine.

Du bruit dans les océans ? Voilà un sujet dont on n’entend pas souvent parler…

« Le bruit et la pollution sonore provoqués par des activités humaines [dans l’océan], c’est quelque chose de relativement nouveau depuis une centaine d’années », explique Kristen Powell, spécialiste des enjeux de conservation marine au Fonds mondial pour la nature (WWF) au Canada. Comme sur la terre, les activités humaines se sont multipliées, avec des impacts importants sur les océans. « Pour la vaste majorité des espèces océaniques, si on augmente le bruit de fond ambiant, ça va avoir un effet, qui peut difficilement être positif », résume Pierre Cauchy, professeur d’acoustique marine à l’Institut des sciences de la mer (ISMER) à Rimouski.

Les océans occupent pourtant 70 % de la superficie de notre planète. C’est énorme. Comment le bruit peut-il avoir autant d’impact ?

Il faut d’abord savoir que les sons se déplacent jusqu’à cinq fois plus rapidement dans l’eau de mer que sur la terre. Le chant d’une baleine bleue, par exemple, peut être détecté à des centaines de kilomètres de distance dans l’océan. « On sait qu’une large majorité des espèces marines utilisent les sons. On sait depuis longtemps que les baleines chantent, mais au-delà de ça, on sait aussi qu’il y a énormément d’espèces qui ont besoin des sons pour détecter des prédateurs, pour communiquer entre elles, de façon moins poétique que les baleines. Il y a plein d’invertébrés, des petits animaux qui font du bruit et qui s’en servent, de ces sons », souligne Pierre Cauchy.

On peut avoir des exemples plus précis ?

Pierre Cauchy signale que des chercheurs de l’ISMER, affilié à l’Université du Québec à Rimouski, travaillent sur les différentes phases de croissance des larves de moule soumises à différents niveaux de bruit. « Ils ont démontré que les larves de moule ne se développent pas de la même façon selon qu’il y a du bruit ou non. On peut aussi parler du plancton : l’ambiance acoustique du lieu va leur servir pour décider si c’est un bon endroit pour y rester », ajoute-t-il.

C’est sérieux à ce point, l’impact du bruit dans les océans ?

Des recherches ont démontré que le bruit causé par des opérations d’exploration minière sous-marine dans le nord-est de l’Atlantique a tué plusieurs calmars géants présents dans le secteur. Un phénomène similaire s’est produit en 2017 lorsque des opérations de forage pétrolier ont décimé une population de zooplancton présente au large de l’île de Tasmanie, dans le Pacifique.

PHOTO LUCAS JACKSON, ARCHIVES REUTERS
Des bruits causés par les activités humaines peuvent avoir des conséquences néfastes pour la faune sous-marine.

« Cette pollution sonore qu’on connaît maintenant peut affecter des fonctions essentielles pour les espèces marines et nuire à leur survie. Cela peut avoir toutes sortes d’impacts, particulièrement pour des espèces en péril comme les populations d’orques sur la côte Ouest ou pour les bélugas dans l’estuaire du Saint-Laurent », mentionne d’ailleurs Kristen Powell.

« Il y a des bruits dans l’océan qui peuvent soit tuer l’animal, soit le blesser, comme des tests nucléaires, un sonar militaire ou l’exploration minière sous-marine, ajoute Pierre Cauchy. Ce sont des bruits très forts. D’autres bruits, moins forts, n’ont pas toujours un effet instantané, mais ça finit par avoir un effet cumulatif sur toute une population. Ça fait des animaux qui sont en moins bonne santé. Ça s’ajoute aux autres stress subis par les écosystèmes marins, comme la pollution, la surpêche, le réchauffement des océans. Le bruit ambiant devient une autre source de stress. »

Que fait le Canada face à ce problème ?

Une consultation publique menée par Pêches et Océans Canada est prévue jusqu’au 22 octobre prochain à la suite du dévoilement de la stratégie fédérale. La prochaine étape prévoit l’élaboration d’un plan d’action du gouvernement fédéral assorti d’un échéancier. « Les recommandations finales et la première ébauche du Plan d’action fédéral sur le bruit sous-marin devraient être publiées en 2025. Par la suite, il y aura une consultation et une mobilisation axées sur le plan d’action et sa mise en œuvre », précise le document officiel.

« Le Canada s’était engagé à publier sa stratégie sur le bruit sous-marin en 2016. Elle devait être dévoilée en 2021, elle a été retardée pendant plusieurs années et elle vient juste d’être rendue publique, affirme Kristen Powell, du WWF. Mais nous ne voulons pas seulement une stratégie, mais des mesures concrètes pour réduire la pollution sonore », ajoute-t-elle.

Source : lapresse