Robert Calcagno (Institut océanographique) : « Nous traitons l’océan comme au Néolithique »

 

Challenges – Quelle part la protection des océans doit-elle prendre dans la lutte contre le réchauffement de la planète ?

Robert Calcagno – Chacun connaît le rôle crucial de l’océan dans le fonctionnement de la planète. Il recouvre 71 % de la surface du globe et abrite 90 % de sa biosphère. Sans compter que l’océan absorbe 90 % de l’énergie dégagée par les gaz à effet de serre et 30 % du carbone rejeté dans l’atmosphère par les activités humaines. Mais ce n’est pas un travail gratuit : l’océan se réchauffe, et avec cette hausse des températures, ses eaux se dilatent, contribuant à l’élévation du niveau de la mer. Au cours de la dernière décennie, l’océan a trouvé sa place au sein des discussions internationales, et des progrès significatifs sont à souligner, comme l’objectif de 30 % de la planète à protéger d’ici à 2030 ou encore l’Accord pour la protection de la haute mer et de la biodiversité marine, que la principauté de Monaco a d’ailleurs été le premier Etat européen à ratifier.

Comment le mettre en œuvre de manière efficace ?

Si le travail avec les scientifiques, les instances gouvernementales et la société civile demeure crucial, il faut désormais y intégrer les acteurs économiques et le monde de la finance. Ils savent créer de la valeur ! L’économie de l’océan, qui représentait l’équivalent de 1 500 milliards de dollars en 2010, va probablement doubler d’ici à 2030.

 

Avec quel impact ?

C’est une économie très dynamique, mais avec des situations ahurissantes, comme celle que vit la pêche. Sous prétexte de nourrir les hommes, nous traitons l’océan comme si rien n’avait changé depuis le Néolithique, adoptant une posture de chasseurs-cueilleurs, alors qu’il s’agirait de se rapprocher du modèle terrestre, en « cultivant la mer ». Les gouvernements tentent de réguler cette course à « pêcher le dernier poisson ». Mais en même temps, ils subventionnent des flottes de pêche avec des unités toujours plus grosses et plus gourmandes en énergies fossiles.

Justement, les autres grands secteurs de l’économie de la mer – le transport et l’exploitation des richesses du sous-sol – ne dépendent-ils pas trop des énergies fossiles ?

Oui, le transport maritime, qui assure 90 % des besoins mondiaux, doit basculer vers une propulsion décarbonée et plus économique, en consommant moins d’énergies fossiles. Peut-être aussi en ralentissant ou plutôt en optimisant la vitesse des bateaux. Quant aux plateformes pétrolières, il faut diminuer la production d’énergies fossiles à terre et en mer, interdire l’exploration et l’exploitation dans les zones polaires, particulièrement dans l’Arctique, et, à l’inverse, développer les parcs éoliens, qui fournissent une énergie décarbonée.

Qu’est-ce que l’« économie bleue » que vous évoquez parfois ?

C’est une exploitation de l’océan conforme au quatorzième objectif de développement durable des Nations unies, qui commence ainsi : « Conserver et exploiter de manière durable les océans… » Cela demande de développer le secteur de la pêche artisanale, de favoriser la culture des algues et la plantation des mangroves, d’encourager un tourisme plus durable… Malheureusement, seuls 25 milliards sont investis chaque année dans cette économie bleue, quand il en faudrait sept fois plus. Ce sera l’un des objectifs du Blue Economy & Finance Forum qui se tiendra à Monaco, en prélude à la grande conférence des Nations unies sur l’océan, à Nice, l’année prochaine.

Retrouvez Robert Calcagno lors du prochain Common Good Summit. Un événement organisé par TSE, Challenges et Les Echos Le Parisien Evénements, à suivre en ligne les 13 & 14 juin 2024. Inscription gratuite sur le site du Common Good Summit.

Source: challenges.fr