Protecteur des océans

Il y a deux sortes d’océanographes. Ceux qui pratiquent le jet-set devant les caméras, à la manière de Cousteau, et les autres comme Daniel Pauly, moins connus des fabricants d’images, mais qui persistent et sonnent l’alarme sur l’état lamentable de nos océans.

La vie de Daniel Pauly n’a rien d’un fleuve tranquille. Né, à la fin de la Deuxième Guerre mondiale, d’une ouvrière française et d’un GI afro-américain, il grandira loin de son père qui ignore son existence et de sa mère qui l’a confié à une famille suisse. Il aura une enfance difficile et malheureuse. À 20 ans, il retrouve finalement sa mère biologique. Puis, quelques années plus tard, il s’envole pour les États-Unis, à la recherche de ses origines afro-américaines et de son père génétique. Il le trouvera en Californie, mais le courant ne passe pas : Daniel est un homme de gauche et son père vote pour les républicains.

Daniel retourne en Allemagne, marqué à jamais par ce qu’il a vu de près aux États-Unis : l’horreur de la ségrégation raciale. Il poursuit des études en agronomie. C’est à cette époque qu’il commence à s’intéresser aux grands enjeux environnementaux, surtout l’environnement marin et les pêcheries, « une activité humaine dont on retrouve l’empreinte sur plusieurs dizaines de milliers d’années, qui aujourd’hui occupe, directement ou indirectement, 300 millions de personnes, exploitant des ressources dont 500 millions d’humains dépendent dans les pays en voie de développement ».

Soif de savoir

Très tôt, il se distinguera par sa soif de savoir et son dévouement à la cause environnementale. Il partira en mission d’études à plusieurs reprises, malgré son jeune âge. L’une d’elles le mènera de Terre-Neuve au Groenland, en passant par le Labrador et la Terre de Baffin. À Saint-Jean, la capitale de Terre-Neuve, les bateaux viennent de partout pour y pêcher la morue, le flétan et le sébaste. Il n’y avait pas de quotas à l’époque.

En Indonésie, dans la mer de Java, ce sera le même constat. On est en train de vider la mer de ses éléments vitaux. Daniel s’intéresse aussi à l’âge des poissons et à la façon de le déterminer chez différentes espèces, ainsi qu’à leur croissance. Pendant deux ans, il consultera des milliers d’ouvrages, pour établir des fiches sur 515 espèces différentes. Il découvre un lien entre la température de l’eau et la rapidité de croissance. Le réchauffement de la planète aura une incidence directe sur la vie maritime. « Plus la température de l’océan sera élevée, plus les poissons auront besoin d’énergie et d’oxygène, plaçant une demande accrue sur leurs précieuses branchies. »

D’autres recherches

On lui confie ensuite la mission de « développer une feuille de route des pêcheries tropicales ». À la suite de ses recherches, il en conclut, sur un ton accusateur, que les gouvernements des pays du Sud-Est asiatique ont tendance à « développer les pêcheries industrielles tournées vers l’exportation, au détriment des pêches locales, qui fournissent plus d’emplois et nourrissent véritablement la population ». On commence alors à parler de « surpêche », de « zones exclues à la pêche », aussi de la taille des poissons en relation avec « la taille des mailles des filets ».

Plus tard, il part étudier le monde de l’anchois au Pérou. La reproduction de cette espèce marine est étroitement liée aux phénomènes climatiques, dont celui d’El Niño. Certaines années, elle est en forte croissance, d’autres, sa population baisse dramatiquement. Il en conclut « que la saisonnalité existe, et qu’elle est importante même dans les océans tropicaux ».

Il est aussi conscient du peu de place faite aux femmes dans le domaine de la recherche scientifique. « Les problèmes auxquels l’humanité fait face sont trop importants pour qu’on se permette de perdre la moitié du potentiel mondial de recherche, pour la simple raison que certains mélangent sexe (un fait biologique) et genre. »

Daniel Pauly sera à l’origine d’une première base de données globale sur les espèces maritimes, FishBase : « classification des espèces, morphologie et physiologie, dynamique des populations, écologie, reproduction, alimentation, etc. » Cette véritable encyclopédie, accessible sur internet dans la majorité des pays, renferme une foule d’informations sur plus de 6000 espèces marines vivantes.

Désormais, le destin des poissons et la question de la surpêche doivent être considérés à l’échelle planétaire. Cette biographie, menée à un train d’enfer, d’un lanceur d’alerte océanique a le grand mérite de nous sensibiliser un peu plus sur « la mort annoncée des populations de poissons ».

 

Publié le 20 juillet 2019 par Le journal de Montréal