Prins Bernhard, Scombrus : ces chalutiers géants accusés de ravager les fonds marins

 
Ce sont des géants des mers qui font polémique. L’association Bloom a dénoncé, jeudi 24 novembre, la présence du Prins Bernhard, un chalutier pélagique de 88 mètres de long pêchant probablement le hareng, dans les eaux territoriales françaises cette semaine. « Ce bateau pêche régulièrement en hiver dans les eaux telles que la Manche. Ce qui est particulier ici, c’est qu’il est dans les eaux territoriales françaises, assez proches des côtes. Mercredi, il était à peu près à 10 milles nautiques de la côte. Et hier matin [jeudi 24 novembre, ndlr], on s’est rendu compte qu’il était encore plus proche, à 5 milles », détaille Laetitia Bisiaux, chargée de projet au sein de l’ONG Bloom. 

Vendredi, l’association a pointé du doigt la présence d’un autre chalutier géant de 81 mètres dans les eaux territoriales de l’Hexagone : le Scombrus. Une « provocation » pour l’association qui a réagi sur Twitter et a adressé un courrier à Hervé Berville, Secrétaire d’État auprès de la Première ministre, chargé de la Mer, pour demander des explications sur la présence de ces navires dans une zone si proche de la côte française.

Zone vulnérable

Une proximité qui pose plusieurs problèmes, alors que les chalutiers remorquent un filet évoluant en pleine eau, dans ce que l’on appelle la colonne d’eau, entre la surface et le fond sans être en contact avec lui, détaille sur son site l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (Ifremer). « C’est problématique de pêcher si près des côtes, parce que la bande côtière est une zone vraiment vulnérable. C’est une zone de reproduction de poissons et une zone de nourricerie »alerte Laetitia Bisiaux qui estime également que la distance à laquelle semblent pêcher les deux bateaux, propriété de l’armement tricolore France Pélagique, ne permet pas à leurs filets d’éviter les fonds marins. « Aussi près des côtes, un des problèmes majeurs, c’est que la profondeur de l’eau est relativement faible et représente l’équivalent de la hauteur du filet, ce qui fait qu’il pêche sur toute la colonne d’eau, racle les fonds marin et détruit tout », déplore-t-elle.

La présence de ces navires-usines est aussi problématique pour les petits pêcheurs français. « Le Prins Bernhard est mobile et a la capacité d’aller partout, contrairement aux pêcheurs artisans côtiers qui partent quelques jours ou à la journée et n’ont pas la possibilité d’aller très loin. Et donc quand ce bateau vient piller la mer devant chez eux, ensuite, ils n’ont plus rien à pêcher », déplore la chargée de projet. Une question d’autant plus cruciale que le Prins Bernhard a une capacité de pêche importante : « Il est capable de pêcher autour de 200 tonnes de poissons par jour, soit l’équivalent d’une criée comme la ville de Lorient », dénonce Laetitia Bisiaux.

Les deux immenses navires, repérés près des côtes françaises, sont les symboles de géants des mers de plus en plus décriés par les ONG de défense d’une pêche durable. « C’est juste la partie immergée de l’iceberg qui représente un problème de pêche industrielle, d’échelle, de capacité de pêche et de distribution des quotas. Ces bateaux sont là parce qu’ils ont le droit de pêcher, mais c’est quand même assez grave de se dire qu’ils peuvent détenir tous ces quotas-là qui pourraient être redistribués aux autres. Actuellement, les pêcheurs artisans déplorent un problème d’accès à la ressource, parce que d’autres la concentrent. C’est en cela que la pêche industrielle est problématique, c’est qu’elle détruit et s’accapare du vivant », estime la chargée de projet. 

Risques de surexploitation

Sur son site, l’Ifremer pointe d’ailleurs que les chalutiers pélagiques peuvent accroître les risques de surexploitation des espèces de poisson pêchées. « Ces bateaux n’ont rien à faire dans les eaux territoriales françaises. La bande côtière doit être réservée à la pêche côtière, à la pêche artisanale, c’est un non-sens. L’existence même de ces bateaux pose question. Est-ce que c’est logique aujourd’hui d’avoir des bateaux qui mesurent jusqu’à 144 mètres de long et qui pêchent dans une mer aussi petite que la Manche ? Non. Même ailleurs dans le monde, ça n’a aucun sens », dénonce Laetitia Bisiaux.

Par ailleurs, le Prins Bernhard et le Scombrus ne sont pas les premiers navires de ce type à faire scandale en France. En février dernier, le navire-usine Margiris avait été pointé du doigt après avoir rejeté des tonnes de poissons morts dans le golfe de Gascogne (images visibles ici sur Twitter).

Ce bateau, sous pavillon lituanien et mesurant 136 mètres, est le deuxième plus long chalutier pélagique du monde. L’association Sea Sheperd avait alors dénoncé un navire « habitué des accidents de pêche » en rejetant des tonnes de captures non désirées tandis que les écologistes anglais l’accusaient de piller les fonds marins. Une polémique telle que l’Australie a fini par lui interdire l’accès à ses eaux, car ses filets prenaient également des espèces protégées comme les dauphins.