Pour une mer plus propre dans le Golfe de Tunis

La Tunisie devra redoubler ses efforts pour arriver à stopper la pollution des plages et des eaux de mer.

Mon attention a récemment été attirée par un article dans le journal the Guardian sur le grave problème de pollution des eaux du Golfe de Tunis. Cet article fait suite à l’alerte donnée par les autorités locales, recommandant aux citoyens de ne plus nager dans la mer près de Carthage et du Kram, et quoique de nombreuses initiatives soient en cours, la Tunisie devra redoubler ses efforts pour arriver à stopper la pollution des plages et des eaux de mer.

Néanmoins, il y a espoir que cette tendance préoccupante puisse être renversée, et je voudrais partager une expérience réussie qui pourrait insuffler un “courant nouveau” dans le Golfe de Tunis.

L’exemple en question est le projet pilote de réutilisation des eaux usées traitées (REUT) de Sidi Amor, financé par la Banque Mondiale et mis en œuvre par l’ONAS dans le cadre du programme plus large de renforcement du système d’assainissement de Tunis Nord.

Quoique le projet pilote soit petit, en termes financiers, il est devenu rapidement la composante du projet, que nous financions, la plus ”épineuse” de par sa complexité institutionnelle… mais aussi de par les 200 variétés de roses cultivées sur le site du Groupement de Développement Agricole (GDA) de Sidi Amor, un des partenaires du projet pilote, avec l’ONAS et le Commissariat Régional de Développement Agricole (CRDA) de l’Ariana.

À nos yeux, par contre, ce pilote avait le potentiel d’en être également le plus apte à induire un changement transformateur dans le secteur de l’assainissement en Tunisie.

La REUT est un sujet maîtrisé en Tunisie, et le recul sur plus de 30 ans de réutilisation représente pour la Tunisie un retour d’expérience assez rare dans le pourtour méditerranéen. Par contre, certaines déficiences techniques, financières et organisationnelles ont fait en sorte que la pratique de la REUT a stagné, voire régressé, au cours des dernières années.

En effet, conséquence du besoin de réhabiliter de nombreuses stations d’épuration qui ont atteint leur capacité, et du manque de fonds pour les opérer et entretenir de façon adéquate, on observe une fiabilité irrégulière de la qualité de l’eau au point d’usage, ce qui mine la confiance des agriculteurs quant à son utilisation. De plus, une coordination fluide n’est pas encore établie parmi les différents acteurs de la REUT en Tunisie.

L’idée de monter ce pilote démarre en 2013 avec une nuisance: des eaux usées traitées stockées par le CRDA de l’Ariana débordaient fréquemment sur une partie du territoire du GDA de Sidi Amor et sur une parcelle d’oliviers qu’il préparait pour l’exploitation en bio.

Cette nuisance fut la cause d’un conflit, mais elle fut également la genèse du cadre de collaboration qui allait être à la base de la réussite du pilote. En effet, les discussions et les réunions entre le CRDA et le GDA qui s’en suivirent menèrent à l’idée d’une station pilote de traitement tertiaire qui viendrait soulager le problème de surcharge du bassin de stockage du CRDA.

L’occasion de concrétiser cette idée survient en 2015 à travers le Projet d’Assainissement de Tunis Nord, financé par la Banque mondiale et le Fonds pour l’environnement mondial (FEM), et conduit par l’ONAS. Ce projet a non seulement pour objectif de fournir une solution sûre de rejet des eaux usées traitées de Tunis Nord à travers la construction d’un émissaire mer, mais, en encourageant la réutilisation de cette ressource en agriculture dans la zone, le projet permet également d’en réduire le rejet dans le Golfe de Tunis. Un double objectif directement lié à l’amélioration de la qualité des eaux de baignade du littoral nord de Tunis.

Aujourd’hui, après plusieurs années d’échanges, de travail, d’accords et de désaccords, de négociations, de compromis, la REUT à Sidi Amor est maintenant une réalité. L’eau traitée est de qualité et permet l’irrigation de 1.5 hectares de parcelles de démonstration dans le domaine du GDA (dont la roseraie), ainsi que de 6 hectares de parcelles de 3 agriculteurs dans le périmètre irrigué de Borj Touil, géré par le CRDA.

Par contre, à l’instar des difficultés rencontrées au niveau national, la coordination inter-institutionnelle a pris du temps à s’articuler. Le partage des responsabilités et, plus particulièrement, celles reliées à la pérennisation du système après la clôture du Projet, a donné lieu de nombreux débats, mais dès les premiers mois de 2018, les obstacles en ce sens se sont levés progressivement un à un, illustrant le long chemin à parcourir pour passer de frontières institutionnelles souvent inflexibles au partage des responsabilités entre institutions.

Premièrement, en mars 2018, une convention est signée entre l’ONAS et le GDA, en vertu de laquelle l’emprise où se trouvent actuellement les ouvrages du traitement tertiaire revient au patrimoine de l’ONAS, démontrant l’engagement de ce dernier à produire une eau de qualité adaptée à l’usage qui en sera fait. Puis, en janvier 2019, les trois acteurs du pilote s’entendent sur les modalités de gestion du système: l’ONAS veille à ce que les eaux usées traitées en amont du bassin de stockage soient de bonne qualité, le CRDA établit un contrat d’abonnement avec le GDA pour son approvisionnement en eau usée traitée, et le GDA, en plus de gérer les ouvrages de traitement tertiaire, établit lui-même un contrat d’abonnement avec les 3 agriculteurs partenaires du projet.

De plus, l’Institut National Agronomique de Tunisie (INAT) est invité à opérer le laboratoire de contrôle de qualité de l’eau construit sur le site du pilote, permettant ainsi la collaboration avec des étudiants en maîtrise intéressés à faire avancer le sujet de la REUT en Tunisie.

Et ce n’est que le début! Ce pilote s’inscrit en effet dans la reprise des discussions autour de l’élaboration d’un plan directeur national de REUT en Tunisie et a catalysé en quelque sorte l’intérêt de l’ONAS à s’investir dans la recherche de partenaires de la REUT, tant au niveau des usagers publics et privés potentiels que de la recherche et du développement. Et c’est là où je crois que le pilote de Sidi Amor est en train de montrer son plus grand potentiel: cette capacité à générer un environnement de confiance et de collaboration afin de chercher à dépasser les schémas classiques d’assainissement et d’irrigation en Tunisie, et ainsi travailler de concert pour une mer plus propre dans le Golfe de Tunis.

Par Tony VerheijenResponsable des opérations de la Banque mondiale pour la Tunisie, Huffpost