L’appétit dévorant et les promesses incertaines de The Metals Company, l’entreprise qui part à l’assaut des fonds marins

La compagnie fait miroiter aux investisseurs les profits tirés des minerais abrités au fond de l’océan et tente de forcer le passage pour obtenir un permis d’exploiter, malgré les risques pour l’environnement. Mais la faisabilité technique et la rentabilité de cette activité sont sujettes à caution. 

Gerard Barron semble toujours muni d’un nodule polymétallique, qu’il s’agisse de brandir l’un de ces galets noirs extraits des plaines abyssales en interview ou d’en presser un sans relâche entre ses mains pendant qu’il présente The Metals Company (TMC), la compagnie minière dont il est le président-directeur général. Le quinquagénaire australien, cheveux longs et larges lunettes à monture noire, vend un rêve aux investisseurs : tirer profit des métaux abrités au fond de l’océan,comme le cobalt et le nickel, prisés pour la fabrication de batteries. TMC, cotée en Bourse depuis 2021, sera sans ​​« aucun doute » la première société à miner le plancher des eaux internationales, qui n’appartiennent à aucun Etat, a assuré Gerard Barron début juin.

Depuis des années, son entreprise, fondée en 2011 sous le nom de DeepGreen Metals et installée à Vancouver, fait miroiter les débuts prochains de sa production. Des promesses sans cesse reportées, en dépit des pressions que TMC exerce sur l’Autorité internationale des fonds marins (AIFM), l’entité chargée de négocier le code minier qui doit encadrer l’exploitation des fonds marins dans les eaux internationales. L’assemblée de l’AIFM se réunit une nouvelle fois du 21 au 25 juillet à Kingston, en Jamaïque.

Face aux risques encourus par les écosystèmes des profondeurs, une trentaine d’Etats plaident pour un moratoire, une « pause de précaution », voire – comme la France – une interdiction de cette extraction. TMC a finalement décidé de contourner ces négociations multilatérales jugées trop lentes : fin avril, sa filiale américaine a demandé un permis d’exploitation auprès de l’administration des Etats-Unis, qui ne sont pas membres de l’AIFM. Sa requête concerne la zone « Clarion-Clipperton », une vaste région du Pacifique entre Hawaï et le Mexique qu’elle a déjà explorée par endroits avec l’assentiment de l’AIFM, grâce au parrainage de l’Etat insulaire de Nauru.

Cette autorisation, accordée à sa filiale Nori, sera-t-elle renouvelée à son expiration, en 2026 ? Lundi 21 juillet, le conseil de l’AIFM – qui regroupe 36 pays parmi les 169 Etats-membres – a adopté une décision demandant à la commission juridique et technique de l’Autorité d’accorder « une attention particulière » au non-respect éventuel du cadre juridique multilatéral par les entités bénéficiant de tels contrats d’exploration.

Un patron très médiatique

Le périmètre géographique précis convoité par TMC dans sa demande adressée aux Etats-Unis n’est pas public. La société a refusé de le communiquer au Monde. La petite entreprise, qui annonçait fin décembre employer 47 « salariés et entrepreneurs », n’a pas répondu non plus aux questions du Monde sur son histoire et son activité. Elle n’est pourtant pas de celles qui fuient la lumière. Gerard Barron, à sa tête depuis 2017, apparaît régulièrement dans les médias du monde minier ou financier. Cela fait des années que cet entrepreneur, passé entre autres par le monde de la publicité, vante l’exploitation des grands fonds marins. Il a même été l’un des premiers investisseurs de Nautilus Minerals, un pionnier du secteur, qui a tenté de récolter cuivre, or et zinc au fond des eaux de Papouasie-Nouvelle-Guinée.

L’entreprise, qui s’est retrouvée à court d’argent et a rencontré une forte opposition locale et des organisations environnementales, a fait faillite en 2019 sans avoir réussi à mener à bien ses projets – Gerard Barron avait, lui, déjà cédé sa participation. TMC est, par plusieurs aspects, l’héritière de ce projet qui a constitué un « échec total », selon les termes des autorités locales, qui y avaient investi. La société a même été créée par le fondateur de Nautilus Minerals, David Heydon, Gerard Barron contribuant dès ses prémices « au développement stratégique et au financement » de l’entreprise. TMC a aussi acquis d’anciennes filiales de Nautilus, détenant des contrats d’exploration de l’AIFM.

Subira-t-elle cette fois le même échec ? « TMC a dû agir rapidement ces derniers mois pour éviter de se trouver à court de liquidités », estime Andy Whitmore, responsable du plaidoyer financier de la Deep Sea Mining Campaign, qui réunit plusieurs ONG de protection de l’environnement. Depuis 2022, l’entreprise canadienne a enchaîné les déboires. Elle a reçu trois avis de non-conformité du Nasdaq (des sortes d’avertissements) pour avoir négocié ses actions à moins de 1 dollar. Plusieurs de ses partenaires et investisseurs historiques ont aussi quitté le navire, comme Maersk : le numéro deux du transport maritime mondial confirme au Monde avoir écoulé l’intégralité de sa participation en 2023.

« America first »

Avec le retour de Donald Trump à la tête des Etats-Unis, The Metals Company surfe sur le discours « America first » du président américain. Elle insiste sur la dépendance américaine en matière de ressources minières à ses adversaires – notamment la Chine, qui s’intéresse aussi aux trésors du plancher océanique. Mi-novembre, quelques jours après la victoire électorale du républicain, l’entreprise a salué les nominations « de fervents partisans des nodules » faites par Donald Trump, citant notamment Marco Rubio, devenu secrétaire d’Etat. Elle s’est aussi rapprochée des cercles gravitant autour du président américain, nommant par exemple à son conseil d’administration le 16 juin le célèbre avocat Alex Spiro – il a défendu l’entrepreneur Elon Musk, qui a récemment rompu avec Donald Trump.

La signature, par le président américain, mi-avril, d’un décret enjoignant à son administration d’accélérer les procédures d’examen et de délivrance des permis d’exploitation commerciale dans les eaux internationales a en tout cas eu un effet sur les marchés financiers : l’action de TMC est passée de 1,66 dollar (1,43 euro), début avril, à 7,90 dollars mi-juillet – pour une capitalisation boursière de 2,8 milliards de dollars. Dans l’intervalle, l’entreprise canadienne a obtenu de nouveaux investissements, appâtant notamment le raffineur sud-coréen Korea Zinc.

Sa viabilité reste toutefois largement questionnée. « Il est difficile d’envisager une rentabilité économique », estime Emmanuel Hache, directeur de recherche à l’Institut des relations internationales et stratégiques, spécialiste de l’économie des ressources naturelles. Entre autres incertitudes : les coûts d’exploitation ou encore les très volatils cours des métaux sur lesquels mise l’entreprise, comme le nickel, qui sont bien plus bas que depuis la flambée de 2022 et 2023.

Elle dépend aussi de partenaires extérieurs – et notamment de l’un de ses actionnaires : la société suisse Allseas, dont le bateau lui a permis de faire, en 2022, un premier test de collecte de nodules au fond de l’océan. Iceberg Research, une société d’analyse, fait état d’autres insuffisances, comme l’absence persistante d’étude de faisabilité préliminaire – un jalon considéré comme indispensable dans l’industrie minière pour confirmer le potentiel du projet.

D’autant que les doutes restent forts, non seulement sur les aspects économiques mais également sur les volets environnementaux des projets de TMC – de nombreuses organisations non gouvernementales craignent des dommages irréversibles pour les écosystèmes des planchers océaniques mal connus. L’entreprise canadienne finance certaines études scientifiques, au risque d’achopper sur les résultats obtenus, mais aussi sur les méthodologies employées.

Biodiversité sous-estimée

Jeffrey Drazen, océanographe de l’université d’Hawaï, a ainsi participé à plusieurs études financées par TMC portant sur les espèces vivant en eau profonde (et par conséquent sur l’impact potentiel de l’extraction de nodules dans ces eaux). Il relève que la biodiversité dans cette zone est sous-estimée et insiste sur l’importance de mieux connaître la faune de ces profondeurs avant de lancer de grandes opérations minières. L’océanographe a pu observer l’empressement de TMC : « Ce sont deux mondes qui s’entrechoquent, il y a un décalage entre leur temporalité, qui vise une application commerciale rapide de l’extraction, et celle nécessaire pour la recherche. »

Jusqu’en 2024, les rapports entre TMC et l’AIFM étaient relativement cordiaux. Le secrétaire général de l’époque, l’avocat britannique Michael Lodge, dont la proximité avec l’industrie a fait l’objet de plusieurs enquêtes journalistiques, figurait même dans un clip promotionnel de la société minière canadienne de 2018, déniché par le Los Angeles Times. Le ton de l’instance semble désormais moins clément : la remplaçante de Michael Lodge, Leticia Carvalho, a exprimé sa « profonde préoccupation » envers la stratégie américaine de TMC. La firme rétorque que l’AIFM est influencée par « une faction d’Etats alliés à des ONG environnementales » qui retardent l’adoption d’un cadre sur l’exploitation minière.

Dans l’éventualité d’un permis délivré par les Etats-Unis, des doutes subsistent non seulement sur la capacité de l’entreprise à extraire des nodules à grande échelle, mais aussi à les traiter. TMC s’appuyait initialement sur ses partenaires japonais, mais, conformément à son virage américain, l’entreprise met désormais en avant la construction d’un vaste écosystème industriel aux Etats-Unis. Cette stratégie audacieuse pourrait, elle aussi, freiner les ambitions de Gerard Barron, qui n’a sans doute pas fini de triturer ses galets noirs.

Source: le Monde