La Tunisie subit les effets du changement climatique, une situation appelée à s’aggraver à l’avenir

La Tunisie a été classée 4ème sur les 30 pays les plus chauds au monde. Avec une température record de 48.9°C enregistrée mardi 10 aout 2021 au nord du pays à Tunis-Carthage, Bizerte et Béja…plus de 5 autres ville ont été classées parmi les plus chaudes en Afrique. En effet, le sirocco, ce vent chaud et très sec, qui souffle du désert du Sahara vers le littoral, n’a pas cessé pendant 10 jours d’affilée au mois d’août, a indiqué Mehrez Ghannouchi, chargé des prévisions médias à l’institut national de météorologie (INM), dans un entretien accordé à Gnetnews.

Conséquences, 150 incendies se sont déclenchés dans les gouvernorats de Bizerte, Jendouba et Kasserine ces dernières 72 heures. Des coupures d’électricité sont survenues dans plusieurs régions du pays à cause de la forte utilisation de l’électricité pour alimenter les climatiseurs, qui a atteint les 4434 mégawatts le lundi 09 aout, a souligné la STEG dans un communiqué. « Un record jamais enregistré depuis 22 ans », lit-on, selon la même source.

Quelles sont les causes derrière l’apparition de ces températures caniculaires en Tunisie, et quel impact aura cette forte chaleur sur l’Homme et l’environnement à long terme dans le pays et ailleurs ? Des experts du changement climatique répondent à ces questions.

 Changements environnementaux en cascade

D’après Nidhal Attia, coordinateur du programme développement durable et politiques environnementales à Heinrich Boll Stiftung, la Tunisie sera parmi les pays les plus touchées par les dégâts du réchauffement climatique dans l’avenir, puisqu’elle est  située dans le bassin méditerranéen où il y a une forte concentration de la population sur le littoral et dispose d’un important relief terrestre qui renforce la chaleur et des forêts contenant des arbres et plantes buissonnants tels que l’eucalyptus, favorisant les départs de feu et produisant des vapeurs inflammables…

Dans un entretien accordé à Gnetnews, l’expert en développement durable a expliqué qu’avec le phénomène du réchauffement climatique, la hausse des températures jusqu’à 1.5°C dans toute la planète est prévue depuis une trentaine d’années. Par conséquent, les changements environnementaux sont actuellement en cascade, d’où les pics de canicule qui s’étalent sur plusieurs pays méditerranéens et de l’Europe comme la Grèce, la Turquie, l’Algérie, l’Allemagne, la Belgique…Ce phénomène a engendré des cas de décès causés par les fortes chaleurs, ainsi que des incendies, ras de marées, inondations, glissements de terrain, d’où l’intensité des impacts du changement climatique.

Son impact continuera à frapper aussi la biodiversité de la mer, de la terre et de l’agriculture. Il est en train d’engendrer l’érosion marine, sans oublier la baisse de 28% des ressources en eau dans le monde entier, ce qui aura un effet irréversible notamment sur l’économie, les activités des villes balnéaires, et  sur le tourisme en général.

En l’interrogeant sur la cause principale de ces changements profonds du climat, Nidhal Attia a pointé l’économie mondiale du système capitaliste, notamment le secteur des énergies dont 70% des émissions de CO2 dans le monde y sont liées.

L’exploitation et la consommation d’énergies fossiles ont un impact considérable sur l’environnement. Ces énergies sont émettrices de dioxyde de carbone (CO2), un gaz à effet de serre en grande partie responsable des changements climatiques. En revanche, le problème c’est que les dégâts causés par la pollution de l’air persisteront dans une dizaine de centaine d’années, révèle-t-il ».

« L’Homme est obligé de s’accommoder avec ces changements pour pouvoir survivre, d’où l’importance de l’anticipation et la mise en place d’une stratégie d’adaptation aux conséquences du réchauffement climatique en Tunisie également ».

Les sources des catastrophes climatiques 

D’après Mohamed Zmerli, expert national au ministère de l’environnement, chargé de la convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (UNFCCC), ces températures caniculaires reviennent en premier lieu aux énergies utilisées dans la combustion du pétrole et du gaz naturel.

« D’ailleurs, lors de la Conférence de Paris de 2015 sur les changements climatiques (COP21), la Tunisie s’est engagée à baisser ses émissions de CO2 de 41% d’ici l’année 2030, en optant pour les énergies alternatives, solaires, hydrauliques, géothermiques…»

En Tunisie, l’agriculture est aussi en partie responsable des émissions des gaz toxiques suite à l’utilisation massive des pesticides et des fertilisants chimiques des terres, en utilisant l’azote et l’ammonitrate… 

« La solution serait d’intégrer l’agriculture biologique », a indiqué l’expert de l’UNFCCC, appelant les citoyens à limiter les déchets solides et liquides en optant pour le compost et  la consommation des aliments biologiques non industriels. Néanmoins, la stratégie d’adaptation est nécessaire, comme la délocalisation des habitants des zones urbaines où la chaleur atteint des degrés extrêmes à cause des bâtiments et dont l’écart thermique comparé à la campagne est de 8°C ».

Par ailleurs, Pr.Raoudha Gafrej, expert en ressources en eau et en adaptation au changement climatique, à l’université Tunis-El Manar, s’est penché sur les résultats du 6ème rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), paru le 9 aout 2021, qu’elle a qualifié de « forts inquiétants ».

 « Ce serait impossible de contenir l’élévation de la température à moins de 2 degrés dans l’avenir. Le plus grand groupe scientifique du monde a déploré son incapacité de convaincre les décideurs à prendre leurs responsabilités, en réduisant les émissions de CO2, et en mettant en place une stratégie d’adaptation dans tous les pays puisque qu’aucun ne sera épargné…Il s’agit d’un constat douloureux », commente-t-elle déçue.

Revenant sur le cas de la Tunisie, l’experte a affirmé que le pays est déjà en train de subir les conséquences du changement climatique : vague de chaleur, baisse de la pluviométrie, évaporation extrême avec assèchement des sols et évaporation des retenues d’eau. Le premier élément de la vie est touché par le dérèglement climatique est l’eau, constate-t-elle.

« La Tunisie est en première ligne du réchauffement climatique. Les ressources naturelles locales étant déjà limitées, l’eau et les sols sont soumis à une intense pression de la part des activités humaines (agriculture, mines, industries, tourisme) concentrées dans les zones côtières

Selon Pr. Raoudha Gafrej,  les conséquences du dessèchement du sol et de l’eau, ainsi que leur soumission à une intense pression de la part des activités humaines, seront aussi désastreuses et mettront en danger l’alimentation et la santé de la population notamment celles des tranches sociales les plus vulnérables.

 « Il faut agir sur les comportements pour un mode de production et de consommation durables »,  recommande-t-elle, en soulignant qu’il est inadmissible de continuer à gaspiller la nourriture.

« En Tunisie on jette 900.000 pains par jour, soit l’équivalent de 113.000 tonnes d’eau par an ou 176 millions de m3 d’eau virtuelle par an. Le gaspillage alimentaire en Tunisie est l’équivalent d’une perte de 572 millions de dinars par an ce qui relève de l’inconscience. Économiser de l’eau ce n’est pas seulement éviter la surconsommation, c’est aussi ne pas jeter de la nourriture et recycler tout ce qui peut être recyclé ».

Source : GNET