La Tunisie s’offre un raccourci vers les investissements occidentaux grâce au commerce du naphta

 

La Corée du Sud, premier importateur mondial de naphta, semble avoir trouvé une nouvelle voie pour acheter des produits hydrocarbures russes en passant par la Tunisie. Ces transactions pourraient être très bénéfiques pour la Tunisie malgré les critiques qu’elles pourraient susciter.

Séoul a commencé à importer de grandes quantités de naphta, un mélange d’hydrocarbures liquides similaire à l’essence, depuis la Tunisie. Dans le même temps, les importations du même produit par la Tunisie en provenance de Russie ont augmenté de façon spectaculaire, a rapporté Reuters jeudi. L’agence cite également Fakhta Mahouachi, directrice générale de la Société  tunisienne des industries de raffinage, qui affirme que le naphta stocké dans son port appartient à des sociétés étrangères et que l’État n’est pas lié aux transactions.

Selon Refinitiv, l’un des plus grands fournisseurs mondiaux de données et d’infrastructures sur les marchés financiers, la Corée du Sud a importé l’année dernière 590 000 tonnes de naphta de Russie. Le mois dernier, selon la Korean National Oil Corporation, elle a importé 82 000 tonnes du même produit de Tunisie, ce qui représente une augmentation significative des importations coréennes de naphta en provenance de la minuscule nation nord-africaine ces dernières années.

La Tunisie, intermédiaire quand même!

La Tunisie joue le rôle d’intermédiaire pour ces transactions malgré les sanctions occidentales contre la Russie en raison de son invasion de l’Ukraine. À ce sujet, Ahmed Al Karout, principal analyste MENA chez  le cabinet de consulting Sibylline, affirme que, quelles que soient les critiques qu’elle peut susciter, cette initiative pourrait être plutôt bénéfique pour le pays.

D’une part, a-t-il déclaré à The Media Line, « la Tunisie cherche à attirer l’attention de l’Occident en capitalisant sur sa rivalité avec la Russie, dans le but d’obtenir davantage d’investissements et d’aides occidentales. »

Al Karout soutient que le rôle de la Tunisie sur cette route commerciale est susceptible d’accroître les tensions avec l’Occident et les critiques de celui-ci, mais pourrait finalement conduire à des pourparlers et des négociations qui pourraient déboucher sur les investissements étrangers dont l’économie du pays a désespérément besoin.

La Tunisie, souligne-t-il, est actuellement en proie à des difficultés économiques et, malgré l’obtention de nouveaux financements du Fonds monétaire international et de l’Union européenne, ses déficits budgétaires continuent de s’envoler, ce qui signifie que le pays dépense plus que ce qu’il gagne. Cette situation, ajoute-t-il, « est à l’origine d’une agitation sociétale importante à l’approche des élections prévues le mois prochain. » En attendant, ajoute-t-il, la Tunisie cherche à créer une nouvelle source de revenus en facilitant l’acheminement des produits d’hydrocarbures russes vers des pays qui ne souhaitent pas défier l’Occident.

James Swanston, économiste spécialiste des marchés émergents chez Capital Economics, spécialisé dans la couverture du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord, en convient.  Il a déclaré à The Media Line que le fait que la Tunisie agisse en tant qu’intermédiaire reflète probablement le fait que le pays cherche désespérément des sources de revenus pour contrer la détérioration de sa situation économique.

« La Tunisie a besoin de devises fortes pour essayer d’éviter une crise désastreuse de la balance des paiements », dit-il, soulignant que « l’avantage pour la Tunisie est qu’elle prend vraisemblablement une part de l’accord commercial, ce qui l’aide à résoudre ses graves problèmes économiques ».

Al Karout, lui, estime  que  compte tenu des perturbations actuelles sur le marché mondial de l’énergie, de nombreux gouvernements tentent de trouver un équilibre entre le respect des sanctions occidentales et la satisfaction de leurs besoins nationaux en énergie. Il note : « Au vu de la capacité de production mondiale, du stockage et des prix actuels, de nombreux pays considèrent toujours l’énergie russe comme l’option la plus abordable et vont probablement continuer à importer de Russie, notamment en Asie. »

Plaque tournante et route commerciale

Swanston indique que la Corée du Sud pourrait tester cette route via la Tunisie en tant que tierce partie, afin de maintenir cet équilibre. Il ajoute que, bien qu’il n’y ait pas actuellement de sanctions de second tour pour les transactions avec les exportations d’hydrocarbures russes, « la Corée pourrait explorer cette méthode pour éviter les sanctions si elles devaient être imposées à l’avenir ».

La Tunisie est une option optimale pour devenir une route commerciale pour les produits d’hydrocarbures russes en raison des installations russes en mer Méditerranée et de la proximité de la Tunisie avec celles-ci. Cela « lui permet de devenir une plaque tournante et une route commerciale potentielle pour d’autres pays désireux de bénéficier d’un arrangement qui permet de manœuvrer les sanctions », souligne Al Karout

D’autre part, Swanston affirme que la crise énergétique à laquelle l’Occident est confronté devrait connaître un certain soulagement en 2023, avec la rechute des prix de l’énergie. « L’OPEP+ a actuellement une approche prudente des quotas de production de pétrole, mais nous pensons que l’accord actuel ne durera pas jusqu’à la fin de l’année prochaine et que les quotas seront relevés plus tôt que prévu. Cela exercera une pression à la baisse sur les prix. »

Source: African Manager