La France a-t-elle encore un rôle à jouer dans un Arctique de plus en plus convoité?

Ressources naturelles, routes commerciales en devenir, potentiel spatial: les puissances accélèrent dans la course pour le contrôle de l’Arctique, et la France, qui ne peut prétendre y jouer un rôle de premier plan, a néanmoins une stratégie pour préserver ses intérêts.

« L’Arctique attire de plus en plus l’attention des puissances mondiales en raison de son importance économique, stratégique et environnementale », observait en mars dernier la chercheuse néerlandaise Karen van Loon du Clingendael institute lors du Paris Defence Security Forum (PDSF). « La coopération internationale reste un élément-clé de sa gouvernance, mais l’activité militaire et les intérêts économiques façonnent une nouvelle dynamique », ajoutait-elle.

Les tensions croissantes dans le monde se retrouvent sur ces étendues hostiles à l’activité humaine, vaste océan souvent pris par les glaces, la nuit et les tempêtes, où cohabitent plusieurs pays de l’Otan dont les États-Unis, ainsi que la Russie, principale puissance riveraine.

« L’Arctique n’est plus seulement un laboratoire scientifique. Il est aujourd’hui un révélateur des grands bouleversements géopolitiques », écrit le ministre des Armées Sébastien Lecornu en préambule de la stratégie française présentée jeudi.

 

Le président américain Donald Trump a déclaré à plusieurs reprises vouloir annexer l’île arctique du Groenland.

La Chine, grande rivale des États-Unis, s’implique de plus en plus en Arctique, compte tenu de l’ouverture progressive des voies commerciales permise par la fonte de la calotte glaciaire – en particulier le « Passage du Nord-Est », qui permet de raccourcir le trajet maritime entre la Chine et l’Europe en longeant les côtes arctiques russes.

Dans ses stratégies, la Chine « s’est d’abord déclarée « État proche de l’Arctique » puis en 2024 le vocabulaire a changé pour devenir « Arctic stakeholder » (« partie prenante à l’Arctique »), ce qui montre un accroissement de l’intérêt pour la zone en termes économiques », soulignait au PDSF Véronique Salou, chercheuse à l’Irsem français.

Dans ce contexte, Paris se fixe trois objectifs prioritaires: oeuvrer pour la stabilité avec ses alliés, « préserver sa liberté d’action », et « se doter des capacités militaires adaptées à cet environnement exigeant », selon M. Lecornu.

 

La France doit rester lucide

 

Avec une marine nationale déjà étirée sur plusieurs mers du monde et des finances publiques en capilotade, la France doit viser juste. La stratégie, qui n’évoque ni budgets ni investissements, veut « articuler avec lucidité nos moyens », fait valoir le ministre.

« Regardons les choses telles qu’elles sont aujourd’hui et qui sont les pays qui sont capables de naviguer en Arctique », soulignait en mars le vice-amiral français Jean-Marin d’Hébrail. « Le mieux, c’est de compter le nombre de brise-glaces (militaires): les Américains en ont cinq, la Chine quatre, la Russie 51″.

La France, elle, en possède un seul, l’Astrolabe, utilisé à l’autre bout du monde, au service des Terres australes et antarctiques françaises (TAAF).

Alors que plusieurs pays entendent se doter de davantage de ces navires (Canada, États-Unis, Finlande…),pour la France, « la capacité brise-glace est potentiellement intéressante, mais elle n’est pas prévue dans la programmation militaire », relève Tristan Claret-Trentelivres, de la Direction générale des relations internationales et de la stratégie des Armées (DGRIS).

 

La France a identifié sept axes d’efforts pour sa stratégie, qui n’est pas exclusivement militaire, comme accroître la visibilité française en s’impliquant plus dans les forums locaux, soutenir les ambitions de l’Otan dans la région, nouer des partenariats bilatéraux ou encore « développer des équipements adaptés aux conditions extrêmes ».

Evidemment, la France n’entend pas s’impliquer dans toute la zone. « Dans cet espace très étendu [qui représente six fois la superficie de la mer Méditerranée], la zone située à la périphérie immédiate de l’Europe constitue pour la France une zone d’intérêt prioritaire naturelle au sein de laquelle elle doit préserver son influence et sa liberté d’action. Du Groenland au Svalbard, cette région concentre également les intérêts des alliés européens de la France et ceux de l’Otan », souligne la stratégie.

Le ministère des Armées rappelle enfin l’importance d’investir dans « le domaine spatial arctique », afin d’assurer la position française dans la « surveillance de l’espace ». La France avait déjà développé un partenariat avec la Suède dans la station de Kiruna, au nord du cercle polaire arctique.

Source : GEO