Ile Maurice: Économie bleue – Cap sur un océan d’opportunités et de défis

 

L’économie bleue est appelée à devenir un pilier de notre économie, mais il faut y aller avec stratégie et prudence, soulignent des experts.

La relance de l’économie bleue figure en bonne place dans le programme du gouvernement et le Budget 2025-26. Les Assises de l’océan prévues en novembre permettront un dialogue entre les acteurs du secteur et des experts pour dessiner les bases d’un plan stratégique. Les échanges porteront sur six domaines – transport maritime et commerce, recherche et innovation, tourisme côtier durable, énergies marines renouvelables, pêche responsable, aquaculture et modes de financement.

Les premiers jalons sont en train d’être posés. Ainsi, une Blue Economy Unit est mise sur pied et Maurice demande l’extension de sa Zone économique exclusive (ZEE) autour de Rodrigues. Celle-ci sera examinée à la 64e session de la Commission des limites du plateau continental des Nations unies qui se tient à New York jusqu’au 8 août. Après avoir obtenu sa souveraineté sur les Chagos, Maurice vise maintenant Tromelin. Maurice n’est pas un petit pays mais un État océanique avec une ZEE de 2,2 millions de km2, pas encore pleinement exploitée.

«L’économie bleue a vu sa contribution à notre PIB stagner à moins de 10 % entre 2017 et 2025 et notre objectif est clair : la doubler pour atteindre 20 % de notre PIB d’ici 2035 ; pour y parvenir, nous avons la vision, l’équipe et le plan d’action», a déclaré Fabrice David, ministre délégué à l’Agro-Industrie, la sécurité alimentaire, l’économie bleue et la pêche dans son discours sur le budget 2025-26 à l’Assemblée nationale.

Par ailleurs, «le concept d’État océan devient une réalité», déclare le ministre de tutelle, Arvin Boolell. «Il y a trois rapports à exploiter, dont l’Ocean Economy Roadmap de 2013. Ce sera un bijou de développement de la grandeur de Maurice et nous devrons mettre l’accent sur la formation.» Le ministre souligne aussi la bonne entente avec les Seychelles qui ont commencé à exploiter le plateau continental élargi que nous partageons en pêchant des concombres de mer pour les exporter en Chine.

Le port reste la clé de ce développement d’envergure e t un porte feuille de Rs 5,4 milliards lui sera consacré. «Ce sera au gouvernement de décider quel type de partenaire nous aurons. Il y a beaucoup de pays, d’investisseurs qui expriment leur souhait de devenir partenaire. C’est un secteur stratégique et il ne faut pas oublier que sur le Global Container Port Index, nous sommes loin derrière parce qu’il n’y a pas eu d’investissement. Quelque 35 000 bateaux naviguent dans le sud-ouest de l’océan Indien ; si 15 000 s’arrêtent au port, cela aura un multiplier effet.»

Le ministre soutient que c’est un secteur qui bénéficiera aux générations futures. «Les Mauriciens doivent sentir leur sens d’appartenance à ce grand Étatocéan. The sky is the limit. La biodiversité, le marine protected area, la pêche, nou bizin fer tou dan enn developman soutenu. Je crois fermement dans le potentiel de l’Économie bleue.»

Alors que le pays fait face à des difficultés financières, la relance de ce secteur s’annonce primordiale. Toutefois, comme le disent l’océanographe Vassen Kauppaymuthoo et le professionnel de la finance et fondateur d’Anneau, Amit Bakhirta, cette relance doit se faire de manière stratégique et dans la prudence.

Questions à…Amit Bakhirta, fondateur et CEO d’Anneau : «Il faudrait investir Rs 100 milliards dans nos infrastructures portuaires»

Le gouvernement mauricien a placé l’économie bleue au coeur de sa stratégie de développement durable. Quels leviers structurels et réglementaires doivent être renforcés en priorité pour garantir une croissance durable et responsable du secteur ?

Primo, nous pensons que le cadre réglementaire devrait être renforcé et élargi pour permettre l’octroi (dans un délai raisonnable) d’un nombre significatif de licences de pêche industrielle et d’aquaculture aux entreprises locales et étrangères (ces dernières devant impérativement avoir un partenaire financier/stratégique local), en fonction de la demande du marché cible.

Secundo, il est essentiel que la Banque de Maurice, par le biais d’accords spéciaux avec le secteur bancaire et les marchés financiers, étende ses lignes de financement de la pêche aux entreprises de pêche, de transformation et de distribution, entre autres, notamment en matière de financement des navires et des fonds d’exploitation.

Tertio, l’exécutif devrait conclure des accords commerciaux et de partenariat clés dans le domaine de la pêche et de la protection maritime avec des pays/partenaires clés d’Asie et d’Afrique afin d’assurer la pénétration des marchés d’exportation, ainsi qu’avec certains pays européens en matière de transfert de connaissances et de compétences.

Une foire internationale du poisson pourrait être organisée à Maurice, pour garantir une reconnaissance croissante du secteur et du savoir-faire mauricien à l’échelle internationale à long terme. Ces éléments seraient essentiels pour permettre au pays de développer ses ressources marines relativement vastes et magnifiques.

Le Budget 2025-26 prévoit un corridor d’investissement dédié à l’économie bleue. Quels types de projets, privés ou publics, devraient être rapidement mobilisés pour rendre ce corridor opérationnel et attractif ?

Un corridor d’investissement ne sera efficace que si les éléments susmentionnés, en termes d’octroi de licences, financement et pénétration du marché, sont renforcés. Nous réaffirmons qu’en tant que petite nation insulaire, nous devons développer une expertise pointue et nous forger une réputation internationale dans des secteurs spécifiques, niches, mais d’importance mondiale.

L’industrie maritime est l’une des industries les plus lucratives, prévisibles et durables au monde. D’autant plus que les tendances de consommation mondiale évoluent vers une alimentation à base de produits de la mer plutôt que d’autres protéines.

Il s’agit d’une tendance claire, et une île comme la nôtre doit prendre cette vague. Ce corridor d’investissement doit mobiliser des capitaux, ce qui peut déjà stimuler les opérateurs existants. Les capitaux ne pourront s’appuyer que sur une monnaie stable sur le plan socio-macroéconomique et une dynamique industrielle avant-gardiste.

Le «Future Fund», alimenté à partir de 2028 par une part des recettes des Chagos, vise à soutenir ce secteur. Pensez-vous qu’il sera suffisant pour répondre aux besoins de financement à moyen et long termes ?

Un fonds souverain, en tant qu’investisseur, reste relativement passif et manquera de compétences techniques. Cependant, grâce aux opportunités de co-investissement avec des investisseurs stratégiques et techniques, il contribuera considérablement à l’écosystème, effectivement.

La lutte contre la pêche illégale demeure un défi majeur. Quels outils vous semblent les plus efficaces pour concilier sécurité maritime et attractivité économique pour les investisseurs ?

Une collaboration plus poussée est nécessaire avec d’autres pays tels que l’Inde, l’Afrique du Sud, la Chine, mais aussi le Japon et certains pays d’Europe du Nord afin de renforcer nos capacités de surveillance et de protection maritimes. Ce ne sont que quelques-uns des nombreux facteurs pris en compte par les investisseurs institutionnels étrangers, en particulier dans un secteur aussi spécifique.

Votre entreprise évolue dans l’investissement. Quels sont aujourd’hui les principaux freins – juridiques, fiscaux ou administratifs – à l’investissement privé dans l’économie bleue mauricienne ?

 
 

Les facteurs mentionnés ci-dessus créent malheureusement un environnement très concentré et peu concurrentiel. Ceci dit, la nature même de ce secteur est telle qu’il est fortement tributaire des conditions météorologiques et les activités de pêche et de transformation représentent des coûts d’exploitation et de maintien très élevés ; ainsi les marchés d’exportation doivent être relativement importants.

De plus, la courte durée de conservation des produits implique le recours au fret aérien pour les exportations, ce qui rend cycliquement les marges encore plus serrées. Cela dit, les banques surestiment souvent les risques et, par conséquent, tant dans le secteur bancaire que sur les marchés financiers, la liquidité tend à être relativement faible.

Chez Anneau, nous sommes toutefois extrêmement optimistes à long terme sur ce secteur, notamment en termes de capital-investissement et de crédit, et nous envisageons déjà d’investir dans ce secteur très prometteur dans les mois à venir.

Parmi les secteurs clés, comme les énergies marines renouvelables, le tourisme océanique ou les transports maritimes, lesquels présentent le plus fort potentiel d’innovation ?

Le transport maritime, de loin, est essentiel, grâce au potentiel de Maurice à devenir un véritable pont fonctionnel entre l’Afrique et l’Asie et vice-versa ; mais aussi pour le transport maritime, le soutage, les transits et les transferts. Nous devons exploiter pleinement le potentiel unique et exceptionnel que nous possédons en tant que nation stratégiquement positionnée dans l’océan Indien.

Tous les ports du monde ne peuvent pas devenir de véritables hubs maritimes, contrairement à Maurice. Plus important encore, nous avons besoin de nouvelles alliances stratégiques et d’au moins Rs 100 milliards investies dans nos infrastructures portuaires afin d’élever notre offre et nos capacités aux normes africaines, mondiales et asiatiques. Ces besoins à long terme peuvent être satisfaits intelligemment, mais nos liens géopolitiques stratégiques doivent être renforcés. Nous ne pouvons pas y parvenir seuls.

Maurice vient de récupérer sa souveraineté sur l’archipel des Chagos, elle vise également Tromelin et souhaite étendre son plateau continental autour de Rodrigues. Pensez-vous que la capacité de gestion de ces espaces est adaptée à ces ambitions et quels impacts concrets ces avancées pourraient-elles avoir sur les opportunités économiques ?

Oui, nous pensons que cela sera positif, mais nous réitérons une fois de plus que les fondamentaux doivent d’abord être repensés, car nous ne pouvons pas construire sur des fondations fragiles ; cela ne relèverait que de la fantaisie. Nos ressources existantes sont déjà largement sous-utilisées, et les facteurs susmentionnés constituent les principales contraintes à cet égard.

Au-delà des enjeux géopolitiques, quels défis opérationnels et environnementaux sont liés à la gestion de ces territoires maritimes élargis ?

Le développement et l’exploitation des ports ne sont pas uniquement guidés par des considérations économiques. Les enjeux environnementaux et sociaux ont un impact croissant sur les ports et les zones maritimes. Nombre d’entre eux adoptent un rôle plus entreprenant face aux défis environnementaux, énergétiques et climatiques, qui jouent un rôle croissant pour attirer les clients et les investisseurs potentiels. Un port et une zone maritime porteuse dotés d’un solide bilan environnemental et bénéficiant d’un fort soutien de la communauté sont susceptibles d’être privilégiés par les acteurs du marché.

Les décideurs politiques et les parties prenantes devraient laisser aux communautés portuaires une marge de manœuvre suffisante pour assumer et développer un rôle de leader. L’innovation et les technologies de l’information sont également au cœur des préoccupations de nombreux ports à travers le monde et nous espérons que les quelques Rs 5 milliards prévus dans le budget serviront en partie à y parvenir.

La coordination et l’intégration des chaînes d’approvisionnement sont essentielles à la compétitivité future du port. Les acteurs et les autorités portuaires doivent développer des initiatives visant à renforcer l’interconnectivité des ports concernant leurs réseaux physiques, numériques et opérationnels.

Ces dernières années, les initiatives dans ce domaine se sont multipliées mondialement, témoignant d’une évolution de la pensée portuaire. Les défis de la numérisation soulignent que cette nouvelle façon de penser permet aux ports et à leurs parties prenantes d’utiliser plus efficacement les actifs existants, ce qui continuera d’ouvrir de nouvelles perspectives.

La sécurisation de ces zones souveraines renforcera-t-elle la confiance des investisseurs internationaux dans l’économie bleue mauricienne ? Comment cela se traduirait-il en termes d’attractivité financière et stratégique ?

Nous pensons que le potentiel économique maritime pourrait facilement être, sous certaines conditions, au moins trois fois supérieur à sa taille réelle. C’est le silence, mais surtout l’action, qui fait résonner une symphonie harmonieuse.

Vassen Kauppaymuthoo, océanographe : «Il faut protéger avant de développer»

Alors que le gouvernement mauricien place l’économie bleue au coeur de sa stratégie de développement durable, l’océanographe appelle à une vision cohérente, inclusive et rigoureusement structurée. Pour lui, «l’avenir de Maurice se joue en mer» – à condition de ne pas répéter les erreurs du passé. Maurice gère aujourd’hui une zone économique exclusive quatre fois la superficie de la France. Une richesse considérable, renforcée par la cogestion de 400 000 km2 avec les Seychelles après le jugement sur les Chagos.

Pourtant, cette immensité marine reste en grande partie inexploitée. «Notre économie est essoufflée, il est temps d’explorer de nouveaux horizons», martèle Vassen Kauppaymuthoo. L’économie bleue offre justement cette opportunité. Mais il insiste : il ne s’agit pas de foncer tête baissée. «Il faut protéger avant de développer.»

Parmi les priorités évoquées, l’expert cite : la modernisation du port : trop peu de navires font escale à Maurice malgré le passage de 28 000 bateaux dans nos eaux chaque année ; le renforcement du secteur de la pêche, dans un contexte de sécurité alimentaire où 80 % de la nourriture consommée à Maurice est importée ; la valorisation de l’écotourisme, face à un modèle touristique qu’il estime être arrivé à saturation.

Mais pour lui, l’économie bleue ne saurait se réduire à ces secteurs traditionnels. Elle englobe aussi les énergies marines renouvelables, la biotechnologie, la Blue Finance ou encore les crédits carbone et la biodiversité. Autant de domaines à fort potentiel, à condition de ne pas tout mélanger : «On ne peut pas courir dix lièvres à la fois. Il faut trier, faire des choix et oser dire non à certains projets.»

Il insiste sur la nécessité de revoir le roadmap de 2013, aujourd’hui dépassé, pour établir une vision claire avec des priorités, des objectifs mesurables et des indicateurs de performance. «Tant qu’on n’aura pas défini ce qu’on veut, comment on le fait, et ce que cela rapporte au pays, personne ne voudra investir. Mais si c’est bien pensé, l’économie bleue attirera d’elle-même les capitaux. Elle agira comme un récif pour les poissons.»

L’océanographe met en garde contre une approche purement économique : «Les océans sont notre patrimoine commun. Le développement doit profiter à tous les Mauriciens, pas seulement à quelques investisseurs.» Il appelle à intégrer les jeunes diplômés, souvent contraints de se réorienter faute de débouchés dans leur domaine, et à construire un fonds souverain en pensant aux générations futures.

Enfin, il plaide pour une approche mauricienne, innovante et respectueuse des spécificités locales. «Il ne faut pas copier-coller des modèles d’ailleurs. Ce que nous construisons doit répondre aux réalités de notre pays, de notre peuple.» Pour Vassen Kauppaymuthoo, l’économie bleue n’est pas un simple secteur de croissance. Elle est une nécessité. Un tournant à ne pas rater. «C’est le salut de notre économie, mais il faut le faire bien, avec les bonnes personnes et avec une vraie vision à long terme.»

Source : allafrica