Europe: le transport maritime devra payer pour ses émissions polluantes

 

Réunis en trilogue, les législateurs européens ont décidé d’étendre le marché du carbone (ETS) aux exploitants de navires. Un accord doit encore être trouvé sur le calendrier avec les Etats membres.

Le transport maritime va devoir payer, lui aussi, pour ses émissions polluantes. Réunis en trilogue mardi, les législateurs européens ont décidé d’étendre le marché du carbone (ETS) aux exploitants de navires, après deux ans et demi de laborieuses négociations.

L’accord, une première mondiale, prévoit une couverture progressive de 40 % des émissions du secteur en 2025 (sur la base des émissions enregistrées l’année précédente), puis 70 % en 2026 et 100 % d’ici à 2027. Seuls les navires de plus de 5.000 tonnes brutes sont concernés. Les petits navires et les yachts de luxes sont exemptés, mais pas les navires de fret ni de croisières.

CO2… mais aussi méthane et oxyde d’azote

Les navires, dont beaucoup fonctionnent encore au fioul lourd, transitant sur le Vieux Continent, payeront 100 % de leurs émissions, et ce pourcentage passe à 50 % pour ceux voyageant vers ou depuis des pays tiers (hors d’Europe). Les émissions polluantes autres que le CO2 (méthane et oxyde d’azote) seront également soumises à l’obligation d’achats de quotas à partir de 2027 : les navires fonctionnant au gaz naturel liquéfié (GNL) devront donc eux aussi payer pour ce qu’ils émettent. « Un signal clair que le GNL n’est pas une solution propre pour le transport maritime », retient l’association Transport & Environment (T & E).

L’initiative a pour but d’inciter les compagnies maritimes, responsables d’environ 3 % des émissions de gaz à effet de serre au niveau mondial, à adopter des solutions propres, faute de quoi elles seraient amenées à payer cher. En début de semaine, l’ONU s’inquiétait du retard de la marine marchande dans la transition énergétique. Les émissions de carbone de la flotte mondiale ont augmenté de 4,7 % entre 2020 et 2021 (à 849 millions de tonnes fin décembre 2021), selon l’étude publiée par l’organisation.

Les émissions mondiales de la flotte maritime.

Pour Jacob Armstrong, responsable du transport maritime durable au sein de T & E, l’accord européen marque donc un « tournant décisif » pour la décarbonisation du transport maritime. « Le secteur ne pourra plus s’en tirer avec un impact massif sur le climat. Les émissions internationales ne seront plus ignorées par les décideurs nationaux ». « Les porte-conteneurs vont enfin payer le juste prix de leurs émissions », a tweeté l’eurodéputé Pascal Canfin.

Un nouveau fonds pour l’innovation maritime

« Ce fut une négociation très délicate », a expliqué à la presse le rapporteur du Parlement européen sur la révision du marché du carbone, Peter Liese (PPE), se déclarant néanmoins « optimiste » quant à la possibilité de conclure un accord avant Noël. Le calendrier et ces pourcentages doivent en effet encore obtenir le feu vert des Etats membres.

Le sujet a alimenté des débats notamment sur les enjeux de compétitivité internationale des exploitants de navires. D’après le rapporteur, l’accord va permettre quelque 120 millions de tonnes d’économies de carbone, soit deux fois plus que le secteur de l’automobile. L’accord s’inscrit dans celui, plus large, de la réforme du système d’échange de quotas du bloc qui est en cours, et qui est un des piliers de l’efficacité du plan climat de l’UE .

Les recettes générées, notamment les revenus de la vente de 20 millions de crédits de carbone – ce qui correspond actuellement à 1,5 milliard d’euros – iront alimenter un nouveau fonds d’innovation destiné à financer un transport plus durable et à protéger les océans. Elles seront réinvesties dans le secteur – les ports, les navires… – et les Etats devront être transparents sur leur utilisation.

« Nous sommes prêts », a réagi Jim Corbett, le directeur Environnement Europe du World Shipping Council (WSC), qui représente l’industrie mondiale. « Et nous espérons que le marché carbone maritime stimulera les investissements dans les énergies renouvelables et dans les réseaux d’approvisionnement nécessaires aux carburants alternatifs nécessaires pour faire la transition » vers des carburants sans gaz à effet de serre.

Cet accord chez les 27, c’est « un défi que lance l’UE à d’autres pays comme les Etats-Unis, la Chine et le Japon pour faire ce premier pas extrêmement important vers le transport maritime zéro émission », soulève Jacob Armstrong. 

Source: Les Echos