Des espèces profitent des déchets plastiques sur l’océan pour franchir des barrières écologiques

 

Depuis le tsunami japonais de 2011, les scientifiques soupçonnent que des espèces côtières pourraient être capables de surfer sur des déchets plastiques pour se retrouver à vivre en pleine mer. Faisant ainsi tomber des barrières biogéographiques que les chercheurs pensaient infranchissables. L’aube, peut-être, de changements écologiques importants dans l’environnement marin.

Dans le Pacifique Nord, quelque part entre Hawaï et la Californie, il est une région qui nous rappelle nos excès. Des sacs plastiques, des bouteilles, des emballages, des filets. Un gigantesque vortex de déchets que les Anglophones appellent le Great pacific garbage patch (GPGP). Il s’étendrait sur 1,6 million de kilomètres carrés. Soit trois fois la superficie de la France. Près de 80.000 tonnes de déchets plastiques flottants. Et l’on imagine bien que cela pose problème. À la vie marine, notamment. Lorsque celle-ci ingère ou s’enchevêtre dans ces plastiques laissés à l’abandon.

Mais ce n’est pas tout. Des chercheurs du Centre Smithsonian de recherches sur l’environnement (SERC, États-Unis) révèlent aujourd’hui une autre complication due aux déchets plastiques en mer. Ils ont observé que des espèces côtières peuvent coloniser ces déchets et se retrouver à des centaines de kilomètres au large. Bien au-delà de leur aire de répartition traditionnelle.

Rappelons en effet que les courants de surface peuvent former des tourbillons de déchets plastiques qui voyagent des côtes vers des régions plus éloignées. Là, ces déchets se retrouvent piégés dans des courants en rotation. Ils s’accumulent alors notamment du côté du vortex de déchets du Pacifique Nord. Avec, à leur surface, des organismes habitués à vivre sur les côtes. Les scientifiques parlent de communautés néopélagiques. Et ils soupçonnaient leur existence depuis qu’ils avaient découvert près de 300 espèces ayant traversé le Pacifique sur les débris du tsunami japonais de 2011.

Les chercheurs du Centre Smithsonian de recherches sur l’environnement (SERC, États-Unis) ont travaillé à partir d’échantillons de déchets plastiques récoltés du côté du vortex de déchets du Pacifique Nord par l’Ocean Voyages Institute. © Ocean Voyages Institute 2020 Gyre Expedition

Un nouveau risque pour les espèces de haute mer

Cette fois, les chercheurs ont analysé des échantillons des quelque 103 tonnes de plastique et autres déchets collectés en 2020 par l’Ocean Voyages Institute. L’organisation s’est donné pour objectif de récupérer ces déchets en voyageant jusqu’au GPGP à bord de voiliers. Les chercheurs ont trouvé, sur ces déchets plastiques, de nombreuses espèces côtières. Des anémones, des hydroïdes — leurs cousins éloignés — et des amphipodes — ces puces des mers qui ressemblent à des crevettes. Des espèces non seulement vivantes, mais prospères.

Une véritable surprise pour les scientifiques qui considéraient jusqu’alors qu’aucune espèce côtière ne pourrait survivre au large. À cause de la limitation des habitats et d’un supposé désert alimentaire. Mais désormais, le plastique semble offrir un abri à ces espèces. Qui, d’une manière ou d’une autre, parviennent aussi à trouver de quoi se nourrir au cœur de l’océan. Peut-être parce que le plastique attire aussi à lui quelques-unes des sources de nourriture nécessaires.

Un hydroïde côtier — l’Aglaophenia pluma —, un crabe de haute mer — du genre Planes — et des balanes à col de cygne de haute mer — du genre Lepas — ont été trouvés par les chercheurs, colonisant un débris flottant. © Smithsonian Institution
 
Ce qui inquiète les chercheurs, c’est à quel point ces nouvelles espèces pourraient perturber un environnement resté intact depuis des millénaires. Des espèces indigènes vivent aussi là. Et même sur ces déchets plastiques. Comment accueilleront-elles cette concurrence inattendue ? La question pourrait d’ailleurs se poser jusqu’à un peu plus loin encore. Après le tsunami japonais, des espèces côtières originaires du pays du Soleil levant se sont retrouvées, après avoir flotté en haute mer pendant des mois, voire des années, sur les côtes de l’Amérique du Nord.

Avec d’une part, la production de plastique qui n’en finit plus de grimper, et d’autre part, la multiplication des tempêtes violentes sous l’effet du réchauffement climatique, les chercheurs craignent que de plus en plus de déchets se retrouvent déversés dans les mers. Les communautés néopélagiques ne devraient donc faire que croître. Avec le risque que cela finisse par transformer la vie en mer… et sur terre !

Des colonies de microbes dans la plastisphère océanique

La plastisphère, ce nouvel écosystème marin qui se développe sur les déchets plastiques, grouille de microbes et de bactéries en tout genre. S’il est difficile de prévoir les effets qu’aura ce nouveau monde sur l’océan, on peut d’ores et déjà affirmer qu’il modifie le développement des micro-organismes et pourrait bien transporter des maladies.

Ce macrodéchet de plastique a été découvert dans la zone d'accumulation est de l'océan Pacifique, durant l'expédition 7e continent, le mois dernier. Les mollusques s'en servent au même titre que les rochers ou récifs. Ces déchets de plastique sont aujourd'hui de véritables nouveaux récifs, nids de microbes en tout genre, tels que le choléra. © Soizic Lardeux, OSL

Les débris marins les plus abondants sont les déchets plastiques. Sur les 260 millions de tonnes de plastique produites chaque année, 10 % finit sa course en mer. La circulation océanique entraîne les déchets loin des côtes, dans les gyres océaniques où ils s’accumulent et se dégradent lentement. Ces zones d’accumulation sont souvent appelées continents de plastique ou îles de plastique. La notion de plaque macroscopique de plastique est trompeuse, on devrait plutôt parler de soupe de plastique microscopique. Néanmoins, l’abondance du matériau dans l’océan a conduit à la prolifération de milliers de bactéries, fondant un nouvel écosystème, la « plastisphère ».

Ce nouvel habitat océanique soulève un grand nombre de questions. Les nouvelles conditions environnementales vont-elles favoriser le développement d’espèces au détriment d’autres ? En quoi la prolifération de la vie marine à même ces déchets plastiques pourrait-elle modifier la chaîne alimentaire ? À leur mort, ces organismes vont-ils plonger au fond de l’océan ou seront-ils ingérés ? Quel impact la plastisphère peut-elle avoir sur l’océan ? Difficile de répondre maintenant, mais une équipe du Woods Hole Oceanographic Institution (WHOI) donne quelques éléments d’analyse.

 
Une ciliée Suctoria couverte de bactéries symbiotiques et des diatomées, fixées sur un morceau de plastique fissuré et altéré. © Erik Zettler, Sea Education Association

L’équipe a étudié des débris plastiques récoltés en différents points du gyre de l’Atlantique nord, à partir de filets au maillage microscopique. La plupart des débris récupérés ne dépassaient pas le millimètre, mais abritaient une riche vie microbienne. Les résultats de l’analyse, publiés dans la revue Environmental Science & Technology, font état de plus d’un millier d’espèces différentes développées sur un seul microdéchet de plastique.

Le plastique au temps du choléra

Sur un bout de plastique d’à peine la taille d’une épingle, les chercheurs ont trouvé des organismes autotrophes (phytoplancton et bactéries), des animaux et bactéries qui s’en nourrissaient et des prédateurs plus gros encore. Ils ont par ailleurs identifié de véritables relations symbiotiques entre certains de ces organismes. La plastisphère peut être vue comme un nouveau récif microbien.

Étudiées à partir de microscopie électronique à balayage et de techniques de séquençage des gènes, les bactéries montrent un développement différent de celles qui grandissent sur des récifs naturels. Le plastique se dégrade moins vite que le bois ou les plumes sur lesquels elles vivent normalement, et fournit des éléments nutritifs bien inhabituels. L’équipe montre notamment que les microbes sont capables de dégrader le plastique. Ils ont observé des fissures et des puits microscopiques dans le matériau, qui révèlent que les bactéries s’attaquent aux chaînes d’hydrocarbures.

Les débris de plastique représentent donc un nouvel écosystème, mais pourraient bien être aussi un nouveau mode de transport, vecteur de microbes nocifs. Sur un des plastiques étudiés, la population dominante appartenait au genre Vibrio, qui comprend les bactéries du choléra et les bactéries vectrices de maladies gastrointestinales. L’équipe du WHOI espère pour la suite être en mesure d’identifier et de séquencer toutes les bactéries que l’on peut trouver dans ces milieux, pour ainsi parvenir à développer des cultures en laboratoire et étudier leur mode de fonctionnement. 

Source: Futura Planète