COP26 : les océans, ces grands oubliés ?

 

La journée thématique consacrée à l’océan le 5 novembre a été l’occasion de s’interroger sur la place accordée à cette thématique durant la COP26. Si l’océan joue un rôle crucial dans la régulation du climat, ses capacités d’absorption de CO2 – par sa pompe de carbone – sont vouées à diminuer avec l’augmentation des températures. Outre la hausse du niveau de la mer, le réchauffement menace la biodiversité marine et fragilise l’économie des populations côtières dépendantes des ressources halieutiques et du tourisme, parmi les plus vulnérables au changement climatique. Afin de souligner l’impact qu’aurait la montée des eaux sur les États insulaires, le ministre des Affaires étrangères des Tuvalu, Simon Kofe, s’est adressé à la COP26 par visioconférence… les pieds dans l’eau ! Malgré ce discours-choc, le scénario d’un réchauffement limité à 1,5 ºC – le seul à même de garantir l’intégrité territoriale des petites îles – semble hors de portée au vu des ambitions actuelles des États.

L’océan figurait déjà parmi les grands oubliés lors de la COP25, pourtant surnommée la « Blue COP » pour célébrer la parution du rapport spécial du Giec intitulé « L’océan et la cryosphère dans le contexte du changement climatique ». Indéniablement, une prise de conscience a eu lieu et les présentations scientifiques sur le sujet ne manquent pas à la COP26. Les événements thématiques organisés par la présidence britannique ont fait salle comble. Force est de constater toutefois que, dans la queue, on ne rencontrait qu’un public d’initiés, largement composé de scientifiques, et qu’eux seuls connaissaient l’existence du pavillon de l’Océan virtuel. De tels épisodes imposent de remettre en cause la visibilité réelle du sujet au sein des COP.

L’Europe à la traîne

Qu’en est-il des stratégies étatiques ? Le lancement en début d’année de la « Décennie des Nations unies pour les sciences océaniques au service du développement durable » doit servir de catalyseur pour accélérer la coopération internationale et le développement de programmes de gouvernance bleue ambitieux. Il s’agit, entre autres, d’associer la communauté scientifique, en finançant davantage de programmes de recherche, et le secteur privé, afin d’accélérer l’innovation et la décarbonation des industries. Début 2022, le One Ocean Summit ouvrira le bal diplomatique à Brest. Les États sont invités à relever leurs ambitions avant la Conférence des Nations unies sur les océans de juillet prochain en soumettant des engagements volontaires congruents avec les Objectifs de Développement Durable sur l’action climatique (objectif 13) et la protection de la vie sous l’eau (objectif 14). À cette date, 24 pays seulement ont présenté des stratégies « ambitieuses », à en croire le Dr Satyendra Prasad, ambassadeur et représentant permanent des Fidji à l’ONU.

Longtemps cantonnés à la communauté scientifique, les discours sur le potentiel des écosystèmes marins, côtiers et des zones humides pour séquestrer du carbone – ledit « blue carbon  » – ont acquis une visibilité politique. Plus de 80 pays ont enregistré des composantes bleues dans leurs contributions déterminées au niveau national (CDN). Peter Thomson, envoyé spécial du secrétaire général des Nations unies pour l’océan, souligne pourtant que la part des financements de l’action climatique et de l’aide publique au développement consacrés à l’économie bleue demeure infime. Alors que l’Europe est à la traîne, les États de la zone Asie-Pacifique, comme la Corée et l’Indonésie ou encore l’Australie et la Papouasie-Nouvelle-Guinée, sont en pointe sur le thème. Ces pays ont instauré de nombreux partenariats bilatéraux de gouvernance bleue qui prévoient, par exemple, le financement de projets régionaux de restauration et d’observation des écosystèmes tels que les mangroves.

N’en demeure pas moins que les défis sont nombreux pour mettre en place une gouvernance bleue efficace et développer des solutions fondées sur les océans pour lutter contre le changement climatique. Les blocages portent essentiellement sur la coordination institutionnelle pour établir un cadre légal protégeant la diversité de ces écosystèmes, la collaboration avec les communautés locales et leur inclusion dans la gouvernance de ces projets et l’obtention de données de qualité et transparentes. Ce dernier point est crucial pour déterminer une base de référence, une méthodologie rigoureuse et un suivi adapté pour estimer les capacités de séquestration de carbone de chaque projet. Il ne faudrait pas, cependant, que ces projets captent l’attention aux dépens des objectifs de protection de l’océan, de lutte contre la pollution plastique en mer et de décarbonation du transport maritime international. Autant de thèmes ignorés à la COP26 : les événements sur le sujet se comptent sur les doigts d’une main. Espérons, en somme, que l’impression de sursaut général et de mise en valeur de l’océan ne soit pas un effet de mode !

Source: Le point Sciences