« Conjuguer compétition et transition écologique », le combat de Catherine Chabaud à la Route du Rhum

 
Quelle place pour l’écologie dans la Route du Rhum 2022 ? À travers trois entretiens, nous donnons cette semaine la parole à un skipper, une skippeuse et un organisateur engagés pour l’environnement. Deuxième volet ce mercredi, avec Catherine Chabaud. Première femme à avoir bouclé le Vendée Globe, la navigatrice est également députée au Parlement européen, où elle se bat pour faire reconnaître l’océan comme un bien commun de l’humanité.

À l’occasion de la Route du Rhum 2022l’édition du soir d’Ouest-France lance une série de rencontres avec des acteurs de la mythique course au large, qui évoquent l’impact écologique de leur discipline. Aujourd’hui, entretien avec Catherine Chabaud, skippeuse de Formatives ESI Business School pour Ocean As Common, engagée dans une lutte pour une course à la voile plus respectueuse de l’environnement.

Catherine Chabaud, vingt ans après, vous retrouvez la course au large. A-t-elle toujours des progrès à faire pour devenir complètement « verte » ?

À l’instant T, on n’y est pas du tout ! On a encore beaucoup de choses à faire, à mettre en place, pour devenir « vert ».

Quels sont les principaux freins ?

J’ai plusieurs analyses sur le sujet. Il me paraît indispensable de mettre tout le monde autour de la table. Aujourd’hui, on réfléchit par silo. Les classes ne réfléchissent qu’entre elles, et même séparément les unes les autres. Les organisateurs de course essayent de mettre des choses dans les cahiers des charges, mais les skippers leur demandent parfois de quoi ils se mêlent… Les villes travaillent avec les organisateurs mais c’est tout. Les partenaires et les sponsors vont demander de plus en plus de comptes à leurs skippers. Certains ont plus ou moins développé leur démarche RSE mais demain, ce sera quasiment une obligation pour les sponsors de le faire. Et puis, il y a les institutions, les médias… Il faut que tout ce monde se réunisse. 

 J’ai parlé d’une idée d’assises pour réfléchir à tout ça au président de la Fédération française de voile, il m’a dit qu’il avait parfaitement le sujet en tête et qu’il comptait organiser quelque chose. Je dis que ça doit s’appeler « assises course au large et développement durable ».

Et les autres freins ?

Le deuxième frein, c’est qu’il faut sortir de l’approche dogmatique. Le frein pour certains coureurs, c’est de se dire : comment je peux porter un discours écologique quand je navigue sur un tas de carbone ? Il faut se sortir de cette idée qui consiste à se dire que si je navigue sur un tas de carbone, ma démarche n’est pas écologique…

Prenons l’exemple de l’avion solaire. Bertrand Piccard n’aurait jamais bouclé son tour du monde si l’avion n’avait pas été construit en fibre de carbone. Il bénéficie d’une technologie absolument formidable de mise en œuvre du carbone et il a orienté sa démonstration sur le fait de réaliser un tour du monde avec l’énergie solaire. On a un tel champ de transition et d’expérimentation à faire qu’il faut être méthodique.

D’autres relèvent un obstacle majeur : le paradigme du « toujours plus vite »…

C’est le dernier frein : il faut arriver à conjuguer compétition et transition. Il faut qu’on trouve le chemin, qu’on arrive à engager une spirale vertueuse. On arrive à un moment où il n’est plus décent de ne pas se réunir très très vite pour se dire : comment on fait ? On est dans l’urgence, notre sport ne peut pas vivre en marge, dans une bulle.

La course au large est un formidable terrain d’expression. Ce que je crois, c’est qu’il faut se poser une question : comment je décline la démarche innovante de la course au large (je veux faire le bateau le plus rapide) à l’écologie ? Comment on peut faire un bateau à la fois très performant mais en même temps qui réduit ses impacts et répond aux enjeux de la décarbonation ?

J’irai même plus loin : la course au large doit se demander qu’elle va être sa contribution à la société et à cette transition. Au Parlement européen, je promeus beaucoup les infrastructures à impact positif. Il s’agit non seulement de réduire son impact sur l’environnement mais de se demander : quel peut être mon impact positif sur l’environnement ? Décliné à la course au large, on peut penser notamment aux coureurs qui mettent des capteurs océanographiques. Tout ça pourrait avancer beaucoup plus vite. Il est urgent qu’on agisse.

Vous n’allez pas jusqu’à parler de la fin nécessaire du « toujours plus vite » ?

Je ne sais pas s’il faut l’exprimer comme ça mais je suis assez proche de cette réflexion. Je pose une question aux coureurs : avez-vous du plaisir avec les navires sur lesquels vous naviguez ? Je suis sûrement trop vieille, je n’ai jamais navigué sur un foiler, mais j’entends parler de « bateaux inhumains ». Il ne faut pas forcément rogner sur la vitesse mais réussir à mettre le facteur impact dans le facteur performance. Je pense qu’on aura tout autant de plaisir à naviguer.

Je n’ai pas une réflexion que technologique, mais aussi sur la communication à bord. Dans ce qui fait qu’un bateau de course impacte, il y a la communication embarquée. On a besoin d’énergie pour communiquer. Comment je réinvente l’aventure au large moderne ? Je suis heureuse d’avoir connu une époque où l’on communiquait moins, par service radio, où on laissait l’imaginaire à l’œuvre, où on ne racontait pas tout.

« Il faut se donner des objectifs chiffrés »

Qu’avez-vous pensé de l’avenant environnemental mis en place à cette Route du Rhum 2022 ?

Ces dernières années, la Transat Jacques Vabre a vraiment pris le taureau par les cornes. Aujourd’hui, l’organisation de la Route du Rhum s’est vraiment engagée par rapport à il y a quatre ans, avec une superbe démarche RSE. J’en ai longuement discuté avec Stéphane [Bourrut Lacouture, le responsable RSE d’OC Sport, la société organisatrice de la Route du Rhum]. Le seul reproche que je fais à l’avenant pour l’instant, c’est de ne pas intégrer – et il en est conscient – les vieux bateaux. Mais le travail qu’ils ont fait est déjà énorme. La démarche d’avoir travaillé avec la Transat Jacques Vabre pour ne pas réinventer tout seul est très bien.

Demain, ne devra-t-on pas aller vers des événements beaucoup moins grands pour réduire leur impact ?

Je me suis posé la question : faut-il arrêter avec l’ouverture pendant deux semaines de ce village ? Effectivement, l’impact est énorme en termes de déplacement, d’hébergement et de restauration. C’est un vrai sujet et c’est là où des partenariats avec la SNCF sont super importants, le fait d’avoir un village recyclable aussi.

Au-delà de ça, je pense qu’il faut arriver à trouver le chemin entre un événement qui participe à sensibiliser – pendant les quinze jours, il va y avoir des actions de sensibilisation – et son impact négatif. Il faut se questionner sur les semi-rigides au départ et dans le même temps, peut-on reprocher qu’il y ait 138 bateaux au départ ? Je ne crois pas, je suis la première à bénéficier de cet élargissement. On est dans cette période où il faut collecter de l’information, alors récoltons !

En revanche, il faut se donner un objectif dans le temps. Par exemple, d’ici la prochaine Route du Rhum ou le Vendée Globe 2028. On verra qui met les règles en place, mais on aura fait partie d’une démarche commune. Je fais l’expérience du compromis au Parlement européen, et je vois bien ce qui fonctionne : il faut se donner des objectifs chiffrés.

Source: Ouest france