Pourquoi la mer Méditerranée est particulièrement exposée au dérèglement climatique
3 janvier 2025
3 janvier 2025
A la fin d’octobre, 222 personnes ont trouvé la mort dans des inondations à Valence, en Espagne. Durant l’été, plus de 1 700 personnes ont péri durant la vague de chaleur qui a frappé l’Espagne, le Portugal et le Maroc. En septembre 2023, la dépression Daniel a dévasté les rives libyennes et causé plus de 14 000 décès.
Vagues de chaleurs mortelles, canicules océaniques, inondations dévastatrices : les pays des rives de la mer Méditerranée sont très exposés au réchauffement climatique et à ses conséquences. Explications en cartes et graphiques.
L’année 2023 avait été annoncée comme l’année la plus chaude, avec un réchauffement global du globe de + 1,45 °C par rapport aux températures préindustrielles. Le 11 novembre, l’Organisation météorologique mondiale (OMM) a annoncé que l’année 2024 était en passe de battre ce record avec + 1,54 °C de réchauffement global de la planète. Provoqué par une trop grande émission de gaz à effet de serre liés aux activités humaines, ce réchauffement n’est pas uniforme. Le bassin méditerranéen, zone de transition entre les régimes de circulation atmosphérique des latitudes moyennes et subtropicales, se réchauffe 20 % plus vite que le reste du monde. Il est considéré comme un point chaud du changement climatique.
Des canicules océaniques
Cette hausse des températures affecte conjointement l’atmosphère et les eaux de surface des mers et des océans. Les océans absorbent 30 % des émissions de dioxyde de carbone et 93 % de la chaleur excédentaire imputables au réchauffement planétaire.
Le 15 août 2024, la température médiane quotidienne de la surface de la mer Méditerranée a atteint 28,90 °C, battant le record de 28,71 °C mesuré le 24 juillet 2023, selon l’institut catalan Icatmar. En comparaison, lors de l’été caniculaire de 2003, la médiane journalière était de 28,25 °C. Lorsque la température d’eaux de surface reste plus élevée que la moyenne pendant cinq jours consécutifs au minimum, on parle de canicules océaniques de surface.
D’après une étude menée par des chercheurs du Centre national de recherches météorologiques (CNRM – Météo-France/CNRS) entre 1982 et 2017, ces canicules durent en moyenne quinze jours avec une intensité moyenne de 0,6 °C au-dessus du seuil. Ces dernières décennies, la durée, l’extension et l’intensité de ces phénomènes ont augmenté. Jusqu’à présent, les étés 2003, 2012, 2015 et 2017 avaient connu les canicules océaniques les plus sévères observées. Les deux dernières années ont depuis pulvérisé les records.
Les épisodes méditerranéens sont des phénomènes météorologiques marqueurs du climat de la rive nord de la Méditerranée en automne et en hiver. Ils se caractérisent par des précipitations importantes sur une courte durée, supérieures à 100 millimètres et jusqu’à 500 millimètres localement, soit l’équivalent de plusieurs mois de précipitations en quelques jours, voire quelques heures.
Le réchauffement climatique favorise l’intensification de ces épisodes.
Les courants-jets (ou jet-streams) se forment en haute altitude, sur un plan horizontal, à la frontière entre des masses d’air de température et de pression différentes.
Le courant-jet et ses perturbations se déplacent vers le nord en été et vers le sud en hiver. A l’automne, les perturbations recommencent à atteindre plus facilement l’espace méditerranéen.
En toutes saisons, les jet-streams ondulent plus ou moins fortement. Une masse d’air froid peut se détacher et se déplacer vers des latitudes plus basses. C’est ce que l’on appelle une « goutte froide ».
Avec le réchauffement de la Méditerranée, les masses d’air en surface sont plus chaudes et plus humides.
Le vent pousse l’air chaud et humide de la mer vers la terre. Il rencontre l’air froid en altitude, rendant l’atmosphère instable. Cette instabilité fait monter l’air chaud en altitude. La présence des montagnes amplifie ce phénomène d’ascendance.
En s’élevant, cet air chaud se refroidit. La vapeur d’eau qu’il contient se condense et retombe sous forme de précipitations. C’est l’orage.
L’orage est généralement un phénomène de courte durée. Il peut être isolé (lié au relief ou au réchauffement des sols en été) ou organisé en ligne (la « ligne de grains »).
La différence de température entre l’air chaud instable qui remonte et l’air froid lourd qui descend continue d’alimenter l’orage. On parle alors d’orage stationnaire.
L’air froid, en redescendant, pousse l’air chaud à proximité du nuage d’orage. Cet air chaud peut s’élever, rencontrant à son tour de l’air froid en altitude.
Un nouvel orage se crée quasi à la même place. Ce cycle se renouvelle jusqu’à ce que la différence de températures entre les masses d’air au sol et en altitude se réduise, rendant l’atmosphère moins instable.
Le cumul des précipitations au même endroit peut entraîner des inondations. Plusieurs facteurs peuvent amplifier ce risque : la nature du terrain (montagnes, vallées…), l’artificialisation des sols ou leur niveau de sécheresse favorisent le ruissellement.
Des phénomènes plus intenses sur les territoires densément peuplés
Aujourd’hui, 540 millions de personnes habitent le pourtour méditerranéen. Entre 1960 et 2023, la population y a été multipliée par deux. Les zones urbaines (131 millions d’habitants) absorbent la plus grande partie de la croissance démographique, notamment sur ses rives sud et est. On estime qu’à l’horizon 2050 la population des pays méditerranéens atteindra 635 millions d’habitants, selon un scénario moyen (ONU, Plan Bleu).
L’augmentation des risques météorologiques – et notamment des épisodes méditerranéens – accroît la vulnérabilité de centaines de millions d’habitants peu préparés à ces phénomènes violents, majoritairement sur le littoral et dans une moindre mesure dans l’arrière-pays.
Le risque d’inondation est majeur dans les zones urbaines littorales. Ces dernières décennies, l’urbanisation a entraîné l’occupation des zones inondables et des lits majeurs des cours d’eau, l’éradication des zones humides, qui amortissent les crues, et l’imperméabilisation des sols. Ces facteurs multiplient les aléas matériels et humains lors des épisodes méditerranéens. La quasi-absence de marée a aussi permis l’installation des populations au plus près du rivage. L’élévation du niveau de la mer, de 2,8 millimètres par an entre 1990 et 2018, expose donc ces populations à un risque accru de submersion marine et au recul des côtes.
Inondations et crues ne sont pas les seuls effets néfastes du changement climatique pour les populations. Les vagues de chaleurs intenses se succèdent à un rythme rapide ces dernières années. Bien que le climat méditerranéen soit naturellement marqué par des températures estivales élevées en raison des remontées d’air chaud en provenance du Sahara, les records de chaleur sont battus tous les ans de part et d’autre de la Méditerranée.
Les relevés des stations météorologiques témoignent de la montée continue des températures depuis les années 1990, avec une accélération sur les dernières années.
L’impact des températures extrêmes sur les écosystèmes est lui aussi dévastateur : renforcement des sécheresses par une plus forte évaporation, risques de pénuries d’eau, d’imperméabilisation des sols, conditions propices au démarrage de feux de forêts redoutables pour la flore, la faune et la sécurité des populations.
Les rives de la Méditerranée ne sont pas exposées aux mêmes risques. Ce sont le nord et l’ouest qui cumulent à ce jour les signaux les plus inquiétants.
L’analyse par Le Monde de la base de données CatNat, qui recense les événements climatiques depuis 2001, montre que les vagues de chaleur ont été plus fréquentes à partir de 2015 pour l’ensemble des pays méditerranéens. L’Italie, la France, l’Espagne et la Grèce enregistrent plusieurs vagues de chaleur par an depuis 2021. Ce constat est corroboré par l’élévation de la moyenne des températures maximales de ces pays, notamment la France et l’Espagne, avec respectivement + 2,45 °C et + 2,27 °C entre 1950 et 2022 (Copernicus). Le rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) de 2022 envisage, dans le futur, une hausse globale des températures pour l’ensemble des pays méditerranéens, quel que soit le scénario de hausse retenu.
Les inondations restent les catastrophes naturelles les plus fréquentes. D’après la Banque mondiale, elles représentent, pour les pays méditerranéens, de 30 % à plus de 50 % des catastrophes naturelles enregistrées entre 1980 et 2020. Bien que le climat méditerranéen se caractérise par une grande variabilité des précipitations d’une année à l’autre, les cumuls annuels de précipitations observées diminuent, particulièrement pour les pays du Maghreb, l’Espagne, l’Italie et le sud de la France.
… mais des inondations provoquées par des pluies plus intenses
Des records de cumuls de pluies ont été battus ces deux dernières années. L’Espagne a battu son record de pluies national en 2024, lors d’un épisode méditerranéen le 29 octobre, avec 771 millimètres d’eau à Turis, près de Valence. Selon ClimaMeter, consortium international d’attribution des événements climatiques extrêmes au changement climatique, ces conditions météorologiques très exceptionnelles sont principalement attribuées au réchauffement. En France, un épisode cévenol survenu les 16 et 17 octobre a déversé en vingt-quatre heures 694 millimètres à Mayres (Ardèche). L’Emilie-Romagne, en Italie, a essuyé en quinze mois trois épisodes pluvieux majeurs, provoquant l’évacuation de milliers de personnes à Bologne et ses environs. Selon le sixième rapport du GIEC, ces épisodes pluvieux intenses se multiplient sur la rive nord, potentiellement accompagnés d’une augmentation des crues soudaines.
L’ouest de la Méditerranée, le risque d’une aridification
Les rives ouest et sud sont davantage exposées au risque de sécheresse critique entraînant de graves pénuries d’eau pour les populations et les productions agricoles. Le Maroc témoigne de cette situation avec sa sixième année d’affilée de sécheresse, quand l’Algérie et la Tunisie en sont, elles, à deux années consécutives. L’Andalousie (Espagne) connaît également des conditions de sécheresse – depuis six ans –, tout comme le département des Pyrénées-Orientales, en France, depuis 2022. Le sixième rapport du GIEC estime que ces sécheresses seront plus sévères, plus fréquentes et plus longues, même avec un réchauffement modéré.
Si rien n’est fait pour réduire les émissions de gaz à effet de serre et freiner le réchauffement en cours, d’après les projections du GIEC et quelles que soient les trajectoires de changement climatique, les pays de l’arc méditerranéen et leurs populations seront exposés à davantage de risques climatiques, comme les sécheresses, les pénuries d’eau et des épisodes méditerranéens plus intenses. Ce n’est certes pas l’année 2024, année la plus chaude enregistrée à ce jour, qui inversera la tendance.
Schéma des épisodes méditerranéens réalisés avec l’aide de Fabio D’Andrea, directeur du département de géosciences de l’Ecole normale supérieure. Carte des chaleurs extrêmes réalisée avec l’aide de Copernicus.