Le littoral sous-marin de la Corse au peigne fin

 

Le semi-submersible Platypus parcourra les fonds marins autour de l’île entre le 3 et le 29 juin et dressera un état des lieux de la pollution. Laurent Dominati, président de « Sauver la Méditerranée », partenaire de la Blue Odyssey Corsica, présente les objectifs de cette expédition

La seconde édition du Festival de la mer, organisé par votre association « Sauver la Méditerranée », accueille le départ de la mission scientifique Blue Odyssey Corsica. Quel est le but de cette expédition sous-marine autour de l’île ?

Cette expédition participe à la construction de Baromed, qui sera amené à devenir le baromètre de la santé de la mer Méditerranée dont le but est de réunir les différents critères scientifiques pour juger de la qualité de l’eau. Un baromètre qui dresse un état des lieux de la pollution du littoral ainsi qu’une étude des fonds marins corses commandée par le fonds HLD pour la Méditerranée et l’agence de l’eau. Il s’agit d’une base de données importante sur la Corse et la pollution plastique en Méditerranée qui a commencé à être compilée grâce à l’action d’associations comme Mare Corsica, EKKOCEAN, l’agence de l’eau ou encore l’Office de l’environnement de la Corse. Le Baromed rassemble l’essentiel des données existantes. L’objectif final étant de se rendre compte de l’état global des fonds marins, notamment la pollution par macrodéchets, mais également de l’état de la biodiversité. L’idée est aussi de mettre en avant les solutions existantes et à venir pour protéger la Méditerranée en réfléchissant à des techniques, une réglementation efficace et des moyens de sensibilisation. L’expédition Blue Odyssey Corsica, qui partira d’Ajaccio le 3 juin dans le cadre du Festival de la mer, complétera cette étude avec une première itération de repérage des déchets macroplastiques qui reposent au fond de l’eau.

Cette mission célèbre aussi une nouvelle approche de la protection de l’environnement marin…

La Blue Odyssey Initiative est une association française basée à Marseille et créée en 2022, qui prône une approche innovante et réaliste de la défense de l’environnement marin. Plus précisément, elle veut comprendre les littoraux sous-marins de petite profondeur, et proposer des solutions concrètes face à la pollution et la destruction de la biodiversité. Pour cela, elle met en œuvre des expéditions en utilisant le Platypus, un bateau révolutionnaire semi-submersible, qui possède une grande capacité d’emport aussi bien de passagers que de matériel scientifique. Le bateau n’est pas limité en termes d’autonomie, il peut rester connecté même sous l’eau. Leur première expédition, la Blue Odyssey Sud en juin 2022, a relié Marseille et Monaco : soit 350 km dont 85 km sous l’eau, un record qui a permis de dresser un état des lieux visuel des fonds marins. Cette année, c’est le tour de la Corse, avec la Blue Odyssey Corsica tout au long du mois de juin. François-Alexandre Bertrand est le chef de mission de cette expédition encadrée par l’Agence de l’eau et le Fonds HLD pour le Méditerranée. De nombreux partenaires associatifs et scientifiques, tels que Stareso, Mare Vivu ou l’Ifremer accompagnent l’expédition qui partira d’Ajaccio le 3 juin pendant la seconde édition du Festival de la Méditerranée, un événement porté par la mairie d’Ajaccio et le fonds HLD pour la Méditerranée.

Quelles sont les principales missions que devra accomplir le bateau Platypus qui s’apprête à sillonner les fonds marins de l’île ?

La Blue Odyssey Corsica, qui organise cette expédition à bord du bateau Platypus, prend comme fondement de ses objectifs scientifiques des interrogations sur les relations entre pollution plastique par les macrodéchets et l’environnement sous-marin côtier. L’expédition va donc s’intéresser à trois problématiques principales : tout d’abord, existe-t-il des sites d’accumulations et/ou des points de passage des macros déchets à petite profondeur ? Sachant que la mission Ifremer avait déjà réalisé une étude de ce type en 1990 mais aucun résultat probant n’était ressorti, et depuis, aucune autre étude de ce genre n’a été réalisée à notre connaissance. Ensuite, est-ce que les ports sont des zones d’importation et/ou d’exportation des macrodéchets ? Enfin, est-ce que la posidonie est une zone de captage des macrodéchets ? En amont de l’expédition, un ensemble de sites et de ports auront été répertoriés sur l’itinéraire afin de pouvoir les étudier directement en quadrillant des zones précises d’exploration sous-marine. Il s’agit donc d’un triple objectif à atteindre : une mission scientifique, une mission d’observation, et des opérations de sensibilisation auprès du grand public. L’ensemble des données récoltées seront enregistrées dans l’application PlatyObs, spécialement conçue et exploitée par le programme Ocean Data de l’entreprise à impact environnemental. L’expédition profitera de cette exploration sous-marine pour relever, en sus de l’objectif scientifique des macro-déchets sur les petits fonds côtiers, d’autres points d’intérêt purement d’observation tels que les espèces remarquables, les espèces exogènes, les habitats fortement dégradés, les épaves, les fortes concentrations de poissons, les autres pollutions visibles… Tout cela, définit en collaboration avec l’association scientifique Corse Mare Vivu.

Quelles sont les zones côtières et fonds marins de l’île qui seront plus particulièrement explorés ?

Concrètement, les explorations balaieront un périmètre de 5 km autour des points en mer et de 2,5 km autour des ports d’Ajaccio, de Propriano, de la baie de Figari, de Bonifacio et de Porto-Vecchio. Ainsi, sur environ 500 km de littoral corse, ce sont 100 à 120 km d’espaces sous-marins répartis sur une trentaine de sites qui sont identifiés pour être explorés. Le résultat de ces observations sera partagé avec les partenaires scientifiques de l’expédition. Il faut aussi noter que sur les neuf escales prévues, un village de la mer sera installé sur cinq d’entre elles pour que toutes et tous puissent être sensibilisés à la protection de la Méditerranée ; mais aussi connaître les bonnes pratiques, ainsi aller à la rencontre des acteurs et des solutions. À l’issue de cette expédition, de magnifiques images seront partagées pour montrer la beauté des fonds corses, les blessures de la mer, et un premier repérage des points de passage des plastiques sous-marins. Il est important de rappeler que la mer est belle et pourquoi il faut la protéger ; de montrer les problèmes, récupérer les informations pour comprendre cette pollution et ainsi mieux la combattre afin de protéger les littoraux de notre île.

« Sauver la Méditerranée », c’est aussi sauver une biodiversité exceptionnelle. La question du plastique est au centre des enjeux…

D’un point de vue géographique comme humain, aucune mer au monde n’est comparable à la Méditerranée. Elle est le berceau de très nombreuses civilisations, religions, cultures… Mais il faut rester modeste, à notre niveau, le but est d’essayer de réunir un maximum de gens, sans côté partisans, décideurs ou associatifs pour cette cause autour de laquelle tout le monde est d’accord. Voir comment on peut mener des actions de sensibilisation sur les plages, sur la question du plastique qui est effectivement un enjeu important. La mer de plastique qui se forme régulièrement au large de notre île, composée de milliers de tonnes de détritus portés par les courants méditerranéens, ce ne sont pas les insulaires qui l’ont créé, mais le fait que les courants marins les amènent à 150 km de nos côtes. La gestion des emballages représente un défi énorme pour la survie de la Méditerranée et au-delà. Selon des études réalisées, un sac plastique se dégrade au bout de 20 ans passés en mer. Une bouteille en plastique, elle, se dégrade au bout de 450 ans… Si on ne trouve pas un accord international, cette biodiversité incomparable de la Méditerranée ne sera jamais sauvée.

Source: corse matin