POINT DE VUE. La Terre, c’est d’abord la mer
19 avril 2023
19 avril 2023
Faut-il rappeler que les mers recouvrent 70 % de la surface du globe, et qu’heureusement pour nous elles absorbent l’immense majorité de la chaleur générée par les émissions de gaz à effet de serre. Malgré cela, la température moyenne dépasse cette année les 21 °C, un record. Alors que nous consacrons des sommes hallucinantes à explorer l’univers dans le seul but d’y dénicher une planète susceptible d’accueillir nos descendants sur terre, nous préférons ignorer les océans et ses abysses, les exploiter allégrement plutôt que d’en faire des alliés.
Les écosystèmes marins ont pourtant tout pour plaire : ils possèdent une faune richissime, une flore captivante et suffisamment de secrets pour mobiliser les imaginations les plus fertiles. Par quel autre mystère alors la très grande majorité des humains, cramponnée au plancher des vaches, préfère fantasmer sur le dernier télescope James-Webb à dix milliards de dollars plutôt que sur les prouesses des navires océaniques, comme le Marion-Dufresne rénové qui réussit à prélever par 4 000 mètres de fond — autre record – une carotte sédimentaire de 60 mètres, nous donnant à comprendre et anticiper les aléas climatiques ?
Pour rééquilibrer la chose, il faudrait se tourner du côté de ces hommes et de ces femmes de bonnes volontés qui sortent de leurs spécialités, font de l’altérité une marotte, et démontrer sans tambours ni trompettes que la terre et la mer sont inséparables. Par exemple, un navigateur breton visionnaire, double vainqueur de la Route du Rhum, Roland Jourdain ; un acteur, directeur de théâtre et marin Charles Berling ; un océanographe animalier et merveilleux conteur François Sarano et une jeune activiste écologiste pleine de fougue Camille Étienne.
Au large des îles de Porquerolles, en Méditerranée, et alors que rien ne les prédisposait à travailler ensemble, ils profitent de la naissance d’un bateau expérimental dénommé We Explore, conçu avec des matériaux durables (en particulier le lin) pour proposer de penser la richesse de la mer et des océans à l’aune de la sobriété plutôt que de la compétition. Et c’est le cachalot, ce monstre marin producteur de sons les plus puissants des abysses, qui va servir de prétexte à cette prise de conscience salutaire.
Pour relier la terre et la mer, Charles Berling a eu la judicieuse idée de déclamer préalablement sur le quai du port de Toulon, et devant des enfants, la Lettre à l’éléphant de Romain Gary prophétisant en 1968 la destruction future du mammifère par les hommes. Moby Dick et Les racines du ciel ne sont pas loin. Cinq jours plus tard ils reviennent avec la conviction que la science, la nature et les humains restent encore les meilleurs alliés du monde pour vaincre notre ignorance des fonds marins et des maux qui l’assaillent.
Pour citer Erik Orsenna à propos de ce We Explore pensé par Roland Jourdain et Sophie Vercelletto : « Rien de mieux que les petites expériences amoureusement partagées, sur un bateau par exemple, pour se protéger de la folie humaine ». Il nous reste maintenant à les multiplier à l’infini pour se prémunir de cette écologie punitive massive qui nous pend au nez si chacun n’y met pas du sien pour saisir la subtile complexité de Gaïa (1).
Bonne nouvelle : les États membres de l’Onu ont enfin abouti en mars à un traité pour protéger la biodiversité en haute mer. Quand le haut et le bas entrent en symbiose au bon moment, tout espoir est permis.