Pollution des océans : chaque minute, l’équivalent d’un camion poubelle de plastique est déversé

 

La sensibilité à la pollution des océans, par le plastique notamment, n’a jamais été aussi élevée. Et la demande en polymères synthétiques suit une croissance exponentielle. Une bombe à retardement?

Plasticroûte: le mot a fait son entrée dans l’édition 2022 du dictionnaire Larousse. Le premier plasticroûte a été observé par des biologistes portugais, en 2016. Sur la côte de l’île de Madère, ils ont découvert ce «vernis» formé à la surface des roches par la dégradation du plastique et principalement le polyéthylène, un composé commun utilisé pour fabriquer bouteilles et emballages en plastique. À la manière d’un lichen, le plasticroûte s’incruste à jamais sur le caillou. 9% des roches littorales de la petite île de l’Atlantique sont d’ores et déjà polluées.

Autre horizon, autre définition. En 2014, a surgi du Pacifique le mot «plastiglomérat» que des géologues américano-canadiens ont décrit comme l’agglomérat de pierres basaltiques et de déchets plastiques fondus, bouteilles, brosses à dents, etc. Cette observation réalisée à Hawaï souligne, elle aussi, qu’au rythme où les océans souffrent des maux de la pollution, les néologismes n’en ont probablement pas fini de s’inviter dans les dictionnaires. Ce sont là deux parmi de multiples informations révélées par un rapport parlementaire déposé en décembre 2020 par l’Office parlementaire d’évaluation7 des choix scientifiques et technologiques, à l’intitulé évocateur: «Pollution plastique: une bombe à retardement?»

Si ses auteurs soulignent une sensibilité croissante de l’opinion publique enracinée de longue date, ils n’en relèvent pas moins que le plastique a encore de beaux jours devant lui. Ces quinze dernières années ont été produits plus de la moitié de tous les plastiques connus depuis que le premier polymère synthétique a rendu service dans les années 1920. Leur consommation, et donc leur production, explosent, portées en particulier par la demande croissante d’emballages: d’un kilo de plastique produit par habitant en 1950 dans le monde, le système industriel s’est emballé jusqu’à 45kilos en 2010, une tendance que rien ne ralentit. Selon la Fondation Ellen MacArthur, la seule production de ces emballages devrait quadrupler et atteindre 318millions de tonnes en 2050.

Des tissus synthétiques de nos vestes «polaires» aux garnitures de nos portières de voitures, en passant par les produits cosmétiques et pharmaceutiques –florilège très éloigné de l’exhaustivité–, styrènes, vinyles, polyamides, élastomères et autres polyesters ont colonisé notre quotidien. Il n’aura pas fallu un siècle pour que le plastique s’impose comme le deuxième matériau le plus fabriqué au monde, après le ciment et l’acier. Mais il ne faut en revanche guère plus d’un an pour que 80% des 438millions de tonnes de plastiques mises en circulation deviennent des déchets. Chaque minute, l’équivalent du chargement d’un camion poubelle se déverse dans les océans et s’y accumule, des quantités qui échappent aux circuits traditionnels du recyclage ou de l’enfouissement (lorsqu’ils existent), ou consistant en «fuites» de plastique dans l’environnement tout au long de son cycle de vie, de sa production à son abandon.

En laboratoire, les risques toxicologiques induits sur la physiologie, le métabolisme, le comportement et la reproduction des poissons, des coraux ou des huîtres alimentent déjà l’inquiétude. Mais ces déchets sont encore loin d’avoir révélé tout leur potentiel de danger. Que pèsent en effet les expérimentations circonscrites à l’échelle des paillasses d’instituts de recherche, aussi sérieux soient-ils, face à l’impact méconnu des plastiques dans de vastes écosystèmes océaniques où s’opèrent d’insondables interactions? Si leur comportement en surface et leur densité sur le littoral commencent à être bien documentés, qu’en est-il des déchets coulés en profondeur? Il est par exemple démontré que la densité d’un morceau de PVC le précipitera vers les abysses, mais que le même polymère fragmenté dans la durée, sous l’effet du rayonnement ultraviolet, de l’oxydation de l’eau ou de l’agression des bactéries, flottera entre deux eaux. Notons au passage qu’un sac en plastique, semblable à ceux distribués dans les supermarchés, a été retrouvé dans la fosse des Mariannes, le point le plus reculé du globe connu à ce jour. Profondeur: 11000mètres.

Les travaux à mener sur ces macroplastiques, ceux que l’on observe à l’œil nu, restent colossaux. Aussi, ceux sur l’univers des microplastiques inférieurs à 5mm et a fortiori des nanoplastiques, ces particules passant sous la toise du millionième de mètre, ont l’échelle d’une galaxie où il reste aux océanographes autant à explorer que leurs collègues astrophysiciens dans l’infini univers. «Chaque minute, l’équivalent du chargement d’un camion poubelle se déverse dans les océans».

Source: Sud ouest